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de dormir et, avant de clore la paupière, lit quelques pages des saints Testamens.

Voilà une journée de Saint-Amant à Belle-Isle. Mais, adressé à messire Philippe de Cospeau, évêque de Nantes, le Contemplateur ne dit pas tout ? Messire Philippe de Cospeau est l’homme de Dieu entre les mains de qui Saint-Amant fit sa conversion : car il était huguenot de naissance et, vers la trentième année, abjura les « infernales hérésies. » Non, ce n’est point à ce digne prélat qu’il dédiera le récit de sa débauche. Il est ailleurs, ce beau récit !… Et, à Belle-Isle, au cabaret dont le maître « a bien raison de se nommer La Plante, — car il gagne son bien par une plante aussi ; » et à Paris, rue du Pas-de-la-Mule, chez la Coiffier, qui vend des gâteaux et du vin, chez la Cormier, rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, et mieux encore à la Pomme-de-Pin chère aux buveurs depuis François Villon, Saint-Amant boit de bons coups. Il a pour compagnon Faret, «…dont le nom rime à cabaret : » ce Faret, bon écrivain, l’auteur de l’Honnête homme, doux et aimable et de qui l’on a une « Préface sur les Œuvres de Monsieur de Saint-Amant par son fidèle ami Faret. » Lisons Faret. Après avoir finement célébré le talent du poète, il écrit : « Je voudrais bien que ce fût ici un lieu à propos de parler aussi bien de la bonté de ses mœurs comme de la bonté de ses œuvres ; mon inclination s’étendrait volontiers sur ce sujet. Et, combien qu’il m’ait fait passer pour vieux et grand buveur dans ses vers, avec la même injustice qu’on a écrit dans les cabarets de Chaudière, qu’on dit qui ne but jamais que de l’eau. Si est-ce que, pour me venger agréablement de ses injures, je prendrais plaisir à publier qu’il a toutes les vertus qui accompagnent la générosité. Mais il m’arrache lui-même la plume de la main et sa modestie m’empêche d’en dire davantage. » On ne sait rien du tout de Chaudière, sinon qu’il ne buvait que de l’eau. On devine aussi que Faret ne fut pas un pilier de cabaret, hormis en vers, où la rime le veut. Et il faut deviner enfin que Saint-Amant n’était pas un ivrogne. Seulement, cela, c’est quasi un secret qu’allait trahir, songeant à soi, Faret : Saint-Amant se fâche et sauve sa renommée amusante.

A Paris, il a ses plaisirs et le train de sa vie auprès du comte d’Harcourt, comme à Belle-Isle auprès du duc de Retz. Cadet de Lorraine, ce comte d’Harcourt avait la coquetterie de porter une perle à l’oreille : on l’appelait Cadet la Perle. C’était un homme de gaieté : Saint-Amant faisait « la débauche » avec lui. Mais Cadet la Perle, tel que le voilà, fut un capitaine et, l’on dit, un grand capitaine. En