Si ! je t’ai bien aimé ! Je t’ai quitté sans doute,
Oui ! Mais la faute en est à toi :
Il ne te fallait pas construire notre toit
Au bord de l’eau, mais sur la route.
Car le fleuve, vois-tu, quand passent les chalands,
Chante à nos pauvres cœurs de femmes :
« Avec moi, tout doit fuir ! Vois : la barque a des rames,
Et des ailes les goélands.
« Suivre le fil de l’eau, c’est suivre, au fil, des rêves
Nouveaux à chaque flot nouveau :
C’est d’un regard sans fin dévider l’écheveau
Des quais, des berges et des grèves.
« C’est savoir les bateaux dans les coins, du déclin
De leur poupe jusqu’à leur proue.
C’est son bonnet, pour lui faire tourner la roue,
Jeté par-dessous le moulin
« C’est les grelots, le long du chemin de halage,
Tintant au collier des côtiers,
Le marteau des calfats réveillant les chantiers
Et l’écho réveillant la plage.
« C’est, au bord, un gamin faisant des ricochets.
C’est, flottante, une fleur fauchée.
C’est, sur les astres dont la nuit l’onde est jonchée,
Moi, songeuse, qui me penchais.
« C’est tout ce que jamais ne verront les recluses.
Qu’enferme, jaloux, un amant :
Le sommeil d’une crique et le ruissellement
Des barrages et des écluses,
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