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Je la priai d’y inscrire une poésie. Son mari lui passa son stylographe ; et, pendant qu’elle attendait l’inspiration, nous causâmes avec M. Yosano et un de ses amis, M. Matsuoka, qui a vécu en France et parle fort bien le français.

Ces messieurs m’interrogèrent aussitôt sur les Futuristes et sur quelques-uns de nos écrivains peu célèbres et pourtant très abstrus. Leur prédilection m’eût paru singulière, si je ne connaissais depuis longtemps les étrangers et si je ne savais qu’ils se portent de préférence, dans notre littérature contemporaine, vers tout ce qui bégaie ou s’enveloppe de ténèbres sibyllines. Supposez qu’on leur donne à choisir des députés de l’esprit français, ils éliraient immanquablement ceux qui s’écartent le plus de nos traditions et des qualités par lesquelles nous croyons nous imposer au monde. C’est leur seul moyen de ne pas sembler trop étrangers et de se dispenser d’une pénible initiation. L’obscurité égalise. Devant un sonnet plus que mallarméen, je perds mes avantages sur M. Matsuoka. Sa naturalisation rapide vaut mes vieux états de service.

Puis nous parlons de ce qu’ils ont vu à Paris. M. Yosano n’a pas conçu une très haute opinion de notre art dramatique en assistant à une représentation de L’Honneur japonais. Est-il possible de travestir ainsi le drame des Quarante-sept Ronin ? Et comment nos acteurs font-ils le harakiri ? Oui, comment ? Ils se plongent grossièrement le couteau dans le ventre au lieu de se le promener de gauche à droite, et ils tombent en arrière, au lieu de tomber décemment sur le nez, comme dans un dernier salut… Je l’écoute, et je songe au Cid japonais, à l’Iphigénie japonaise. Mais je me garde bien d’entamer une discussion, et je préfère l’entendre m’expliquer que, dans la poésie japonaise, le vers de cinq syllabes suivi du vers de sept exprime la gravité, la grandeur, le plus intime de l’âme, tandis que le vers de sept suivi du vers de cinq ne convient qu’aux impressions légères.

Cependant Mme Yosano avait tracé trois lignes de haut en bas sur la première page du livre et repassa le stylographe à son mari. Il ne me restait plus qu’à savoir ce que ces trois lignes signifiaient. Ce fut ici que la difficulté commença. Notez que M. Cotte est un japonisant remarquable, que M. Matsuoka parle et écrit le français, que M. Yosano le comprend et le lit et que, Auguste ayant cessé de crier, Mme Yosano ne nous quit-