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Un ami français M. Cotte, me proposa un soir de me conduire chez elle. La pluie tombait ; nos kurumaya étaient poussifs ; nous faillîmes désespérer de sortir du terrible enchevêtrement de ruelles où nous étions engagés. Ce n’est pas une petite affaire que de chercher à Tokyo une maison dont on a l’adresse exacte, le même numéro servant quelquefois à une centaine de maisons. Nos traîneurs allaient de porte en porte, et, au milieu de leurs complimens et de leurs salutations accompagnées d’un écroulement d’eau, j’entendais revenir le même nom Akiko-san, Akiko-san (Mme Akiko), car Mme Yosano n’est appelée dans son quartier que par son petit nom. Enfin, ils enfilèrent une venelle avec ce hennissement de plaisir qu’ils ont quand ils touchent au but ; et ils nous déposèrent devant le seuil de la dernière maisonnette.

M. et Mme Yosano nous attendaient au premier étage, dans une chambre meublée à l’européenne et encombrée de livres européens. Sur la table, Les Blés mouvans de Verhaeren ; sur les murs, un crayon du poète belge aux moustaches tombantes qui prend dans la pénombre comme un air de dieu chinois ; des autographes de M. Henri de Régnier et de M. Valette encadrés ; des tableaux cubistes et un portrait à l’huile de Mme Yosano, figure intelligente et concentrée. Par terre, une collection de Comœdia. M. Yosano, qui écrit lui aussi, et sa femme ont voyagé. Ils sont venus en France, où elle éprouva une telle nostalgie qu’au bout de six mois elle dut s’en retourner. Elle a des façons plus dégagées que les Japonaises. Elle serre la main de ses visiteurs ; mais elle est silencieuse et ne répond aux questions qu’on lui pose qu’après avoir regardé son mari. La conversation est coupée de temps en temps par les cris de ses enfans qui sont couchés en bas. Celui qui crie le plus fort se nomme Auguste en souvenir de l’admiration que ses parens ont conçue pour Rodin. Je lui demandai quels écrivains étrangers l’avaient le plus impressionnée. Elle me répondit que, jeune fille, elle avait lu tant de Tolstoï qu’elle ne voulait pas se marier. Heureusement elle rencontra M. Yosano ; et ce fut une nouvelle victoire du Japon sur la Russie. Quant aux poètes, elle me cita Verhaeren et Rosetti, mais sans paraître en être bien sûre. En ce moment, elle rajeunissait le style et la langue de quelques anciens ouvrages. Et elle m’offrit un exemplaire du vieux roman le Gengi Monogatari mis en japonais moderne.