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les principes semblent empruntés à nos anciens manifestes : « La nature n’est ni bonne ni mauvaise, disait en 1900 le romancier Kosugi, ni belle ni laide ; nous sommes libres d’en décrire le côté qui nous plait, tel que nous le voyons. Notre devoir est de représenter l’illusion des phénomènes. Il importe peu qu’on touche le lecteur ; et notre personne doit rester absente de notre œuvre. » Il va sans dire que les phénomènes dont cette école caresse de préférence l’illusion ont été pendant un certain temps des phénomènes physiologiques. Elle s’est complu à peindre l’illusion de l’hérédité, l’illusion de la lutte pour la vie, et, bien que l’alcool ne fasse point de ravages au Japon, l’illusion de l’alcoolisme. Toutes ces illusions n’ont pas été du goût de la censure qui en a replongé quelques-unes au néant divin. L’école réaliste ne se distingue de l’école naturaliste que par plus de décence. Les Japonais ont aussi une école de romanciers psychologues, et une école de romanciers impressionnistes et dilettantes. Et cela fait beaucoup plus d’écoles que de bons romans ; et presque tous les romanciers de ces diverses écoles s’inspirent des romanciers étrangers.

Je crois que c’est à nous qu’ils ont pris leurs théories et leurs formules et que, malgré la baisse de notre influence depuis les dernières années du XIXe siècle, c’est encore l’œuvre de nos réalistes et de nos dilettantes qui a le plus marqué sur la conception artistique de leurs meilleurs écrivains. Maupassant a été très lu et très admiré. On connaît Flaubert, les Goncourt, et il m’a semblé qu’un des auteurs les plus goûtés de la jeunesse avait assez pratiqué Le Crime de Sylvestre Bonnard et Le Mannequin d’osier.

L’Angleterre ne leur a presque rien fourni ; et pourtant de toutes les langues européennes la langue anglaise est la plus enseignée, la plus écrite, je ne dirai pas la mieux parlée, car les Japonais qui parlent le français le prononcent plus facilement. Ils ont étudié ses philosophes, surtout Spencer, et ses écrivains politiques pour lesquels ils ont abandonné Rousseau, Montesquieu et nos théoriciens du libéralisme. Mais, sauf peut-être Stevenson et Kipling, ses grands romanciers sont comme inexistans à leurs yeux. On se l’explique en songeant au caractère essentiellement chrétien et familial du roman anglais. Les Japonais comprennent mieux Shakspeare que Dickens et George Eliot.