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pas plus ses frais que les œuvres de Gorki et de Tchékoff. Les Japonais peuvent importer nos découvertes scientifiques, nos arméniens, nos costumes, nos systèmes politiques, une bonne partie de nos codes ; mais notre littérature exigerait pour être comprise d’eux une révolution dans leurs mœurs. C’est surtout visible au théâtre où les plus audacieux, dès qu’ils composent un auditoire, redeviennent profondément japonais. Leurs écrivains, qui bâtissent des pièces imitées d’Ibsen, de Bernard Shaw ou de Suderman, sont obligés la plupart du temps d’y fourrer, sinon des étrangers, du moins des Japonais christianisés ou qui ont beaucoup vécu à l’étranger. Et ces pièces, si j’en juge par quelques exemplaires qu’on m’a mis sous les yeux, sont d’affreux salmigondis. J’ai retrouvé dans l’une d’elles, La Maison d’un Prêtre jouée à Osaka sur le théâtre des Pièces Sociales Modernes, des scènes entières, mal digérées et encore reconnaissables, de Solness le Constructeur, de La Dame de la Mer, de Rosmersholm et de La Profession de Madame Warren.

Ces tentatives ont amené, par une réaction légitime, une recrudescence de goût pour l’ancien et seul genre dramatique vraiment littéraire que les Japonais puissent revendiquer : le . À mon premier séjour au Japon, les représentations de, ces dialogues lyriques étaient assez rares. Mais ils ont aujourd’hui de nombreux amateurs dont chaque société possède une salle et une troupe. Les traductions ne nous donnent pas plus l’idée de l’interprétation d’un que la lecture des tragédies grecques des décors, du théâtre athénien, des masques, des cothurnes et de la voix des acteurs. L’estrade assez haute est nue, en bois poli. Un grand arbre tordu, peint sur le mur, forme l’unique décor. En face de la galerie latérale par où s’avancent les acteurs, sept choristes sont agenouillés. Leur chant ressemble à une lente psalmodie. Tout près d’eux, un joueur de flûte est agenouillé comme eux, et deux tambourinaires sont assis sur des pliants. L’un tient un grand tambourin qui rend le son du bois ; l’autre un petit tambourin aux sonorités assourdies. Ils jouent alternativement en poussant des Oh ! Oh ! Oh ! Mia-o Mia-au Heu-o O-ou Ia-o Ia-ou Ah ! Ah ! Ou-ou-oa ! Assurément leurs cris éveillent chez les Japonais d’autres sensations que chez nous. Mais ce ne sont pas seulement ces coups de tambourin et ces miaulemens rythmiques qui ravissent le public : on n’apprécie pas moins la valeur picturale ou sculpturale du