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rompre le silence : « Enfin, dit-il, nous n’avons pas tout perdu ; j’y ai même gagné une fille dont la conduite n’aurait pas fait rougir l’Académie française. » — « Moi, dit Rodrigue, je pourrai désormais affronter l’ombre courroucée d’Alexandre Dumas fils qui m’accuse toujours d’être prêt à sacrifier à mon amour les intérêts de ma patrie. » — « Pour moi, fit don Diègue, je trouve que les Japonais aiment trop les bonzes. Mais je constate avec plaisir qu’ils sont bons connaisseurs en héroïsme et qu’ils ne se sont pas trompés sur la valeur de ma race. » Don Sanche, qui, depuis sa réhabilitation, se rengorgeait, ajouta : « On ne peut pas leur contester une certaine ingéniosité. Ils m’ont évidemment chargé d’un rôle indigne. Cependant, ils ont peut-être mieux compris que Corneille l’importance de mon personnage. » Ils parlaient ainsi, mais ils continuaient de se regarder avec des yeux mélancoliques. Et Chimène, qui était restée silencieuse, dit tout à coup : « Quand nous voyageons, c’est pour rendre à la France un peu de cette gloire universelle qu’elle nous a donnée. Mais ici, on ne se contente pas de nous japoniser : on tait le nom de notre patrie d’adoption et de notre père adoptif. Des milliers de Japonais qui nous applaudiront, pas un peut-être ne saura qu’il applaudit en nous un reflet du génie français et de Corneille. » Et se tournant vers le Roi, c’est-à-dire vers le Shogun, c’est-à-dire vers le représentant de l’Empereur : « Sire, sire, justice ! » s’écria-t-elle. Et don Diègue instinctivement répliqua : « Ah ! sire, écoutez-nous ! » Et ils reprirent la scène pour eux seuls, en français.


L’Iphigénie de Racine, jouée en janvier 1914 sous le titre : Le Vent de l’épée de Tsukuchi, n’a pas été mieux traitée que le Cid. Et pourtant, il n’y a point dans notre théâtre classique de sujet où l’étonnant mélange de politesse et de barbarie parût se prêter plus facilement à l’adaptation japonaise. Il nous faut toute l’antiquité de la légende et tout l’enchantement d’un art parfait pour que des personnages, dont le langage et les manières reflètent une si haute civilisation, nous entretiennent pendant cinq actes d’un sacrifice humain sans nous révolter. Mais au Japon les Iphigénies se sacrifient elles-mêmes ou courent d’elles-mêmes au-devant du sacrifice. Et les Clytemnestres, dont le devoir, comme celui de leurs filles, est d’obéir, s’inclinent en silence. L’auteur japonais a dû inventer un autre ressort dra-