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II. — LA COMÉDIE FRANÇAISE AU JAPON

Nous leur envoyons la Comédie Française. Les dramaturges populaires éprouvent le besoin de renouveler leur matière et commencent à s’inspirer du théâtre européen. Rien ne peut mieux nous éclairer certains côtés de l’âme japonaise que les transformations qu’ils font subir à nos pièces. En voulez-vous un exemple ? Écoutez et ne croyez pas à une fantaisie. On va répéter devant vous le Miroir d’héroïsme de Kamakura : c’est notre Cid.


Rodrigue, Chimène, don Diègue, don Gormas, don Sanche et le Roi ont débarqué au Japon sous leur beau costume français, qui semble encore tout neuf, car c’est toujours ainsi qu’ils voyagent à travers le monde. Mais, quand ils virent le théâtre japonais, la beauté de la scène et les changemens de décors, ils auraient presque regretté de n’avoir point apporté leur costume espagnol, si leur nouvel introducteur, un petit homme jaune et souriant, ne les eût priés, avec une courtoisie irrésistible, de revêtir des pantalons de soie verte ou de soie violette ou de soie rose brodée de glycines, des kimono de safran brochés d’or ou couleur de la fleur du cerisier et doublés d’écarlate. Chimène vit s’évaser autour d’elle une robe onduleuse aux tons d’aurore, et on lui mit dans la main un éventail aussi rouge qu’un soleil couchant. Seul, don Diègue eut un vêtement plus sombre et fut invité à se raser la tête. On leur demanda aussi d’adopter des noms plus familiers aux oreilles japonaises. Rodrigue s’appela Saburov ; don Diègue, Kikuchi ; don Gormas, Adachi Sayemon ; don Sanche, Kurov ; et Chimène, Asagiri (Brouillard du Matin). Quant au Roi, il fut promu à la dignité de Shogun. Enfin, on les avertit qu’ils vivaient en 1281 à Kamakura, capitale du Shogunat au XIIIe sièclee siècle, ville puissante d’un million d’habitans, dit-on. Et la répétition commença.

Chimène s’avançait avec sa suivante, pareille à une flamme qui sort d’un bol de punch. Comme elle ouvrait la bouche, on lui représenta qu’elle n’était plus devant le public européen qui ne va au théâtre que pour entendre parler d’amour, et qu’il convenait avant tout qu’elle annonçât au public japonais que