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II. — SOUS LA RESTAURATION

Pendant les Cent-Jours, le Duc d’Orléans avait refusé d’aller à Gand. Louis XVIII, rentré aux Tuileries, lui en tient rigueur et ne l’appelle point à Paris.

Le Duc d’Orléans y vient deux fois, coup sur coup. Les lettres suivantes font connaître ses sentimens intimes. Elles sont adressées à son fidèle ami et confident M. le vicomte de Chabot :


Twickenham, 26 juillet 1815.
Mon cher Vicomte,

« Tel qu’une bombe lancée par un mortier, je vais quitter Twickenham, — la paix de Twick, — pour tomber dans Paris agité. J’ai reçu de Paris nombre de lettres, qui toutes me pressent d’arriver au plus tôt. Ce n’est pas que le Roi ait eu la condescendance de m’adresser une invitation, ou de m’envoyer un message. Non ; je dois toujours me tenir à Coventry[1]. Ma lettre est restée sans réponse. Mais pour m’appeler à Paris, on a imaginé un procédé plus péremptoire : dans la liste des personnes dont les biens ont été délivrés du séquestre imposé par Buonaparte, mon nom a été omis ! Je vais courir droit au Palais-Royal, si, comme je l’espère, le portier veut bien me laisser entrer.

« Voulez-vous venir ? — J’en serais charmé, je vous le demanderais si je ne consultais que mon désir. Mais je pense à vous. J’ai peur que l’instabilité de là-bas n’ait rien à offrir en compensation de ce que vous auriez à perdre ici. Pensez-y bien, avant de prendre un parti. Je ne veux faire qu’un court voyage. La Duchesse, ma sœur, les enfans restent ici, tant que je n’aurai pas vu quelle tournure prennent les choses. Je les vois très en noir, avec de grosses convulsions prochaines. De Paris je vous écrirai ce qui en est ; ou, si je n’ai pas le temps d’écrire, ces dames vous feront savoir ce que je pense. J’ai pris mon passeport aller et retour, comptant bien revenir, si je le peux, sans délai.

« Mes meilleurs complimens à Lady Isabella. Bien à vous.

« L.-Ph. d’Orléans. »
  1. « Envoyer à Coventry : » expression familière anglaise, avec le sens de mettre en pénitence. »