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lettre écrite dès 1802, à M. de Chabot[1], et qui le montre résolu à s’instruire par sa propre expérience du monde, après avoir vu tant de choses :


Ce jeudi, 1er juillet 1802.

« Voici, mon cher comte, toutes vos bucoliques que j’ai lues et que j’ai fait lire, selon vos intentions. Je reconnais la sagesse de votre esprit et la droiture de vos vues, à la manière dont vos opinions se sont modifiées sur les tems. C’est là le vrai critérium de l’homme d’honneur et de l’homme ferme. Malheur à ceux qui n’ont lu la définition de ce beau caractère que dans nos moralistes et dans nos philosophes ! Les livres et surtout nos livres égareront toujours quand on n’en rectifiera pas l’étude par celle du monde, et de la vie humaine. C’est là la grande école. On voit que vous y avés été longtemps. Mais qui vous a réduit au silence depuis, voilà ce qui m’étonne.

« J’ai admiré la lettre de M… elle est bien pensée, bien exprimée. Elle contient de grandes vérités. Il est très vrai qu’on était mécontent. Il est très vrai que ce mécontentement manquait de direction. Ceux qui auraient dû en être le centre ne l’étaient plus. Et il est tout aussi vrai que c’est principalement à ce défaut de direction et de point central pour les mécontens que les révolutionnaires ont dû leurs déplorables succès. Bonjour, mon cher comte[2]. »


Les dernières lignes sont curieuses. Qu’est-ce que ce manque de direction qui a annulé l’action utile des mécontens et laissé le champ libre aux révolutionnaires ? Ne sont-ce pas là des vues prophétiques ?

Ce temps de repos ne dura pas longtemps. Le malheur fondit de nouveau sur la petite colonie de Twickenham. La santé des deux prisonniers de Marseille, étiolée à l’aube de leur jeunesse, ne s’était pas raffermie. Montpensier mourut. Beaujolais tomba malade, et on entreprit un voyage dans le Midi.

Revenons donc à Malte où nous avons supposé que nous

  1. Louis-Charles-Guillaume de Rouan-Chabot, vicomte de Chabot, né en 1780, maréchal de camp des armées du Roi ; premier écuyer du duc d’Orléans pendant la Restauration ; ensuite aide de camp du roi Louis-Philippe.
  2. Archives de La Grange.