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Billaud-Varennes proposa qu’à la liste dressée par Amar le nom du Duc d’Orléans fût ajouté. Celui-ci avait toujours siégé à la Montagne. Mais qu’importait aux proscripteurs ? Amené à Paris en toute hâte, Philippe-Égalité fut mis à mort le lendemain. A Reichenau encore, Louis-Philippe avait reçu cette nouvelle, tenant secret son nom et cachant ses larmes. Le mystère à demi percé, il dut fuir et passa plusieurs mois, d’août 1794 à mars 1795, chez Montesquiou, à Bremgarten. Il fut alors, pour tout le monde, Corby, aide de camp du général, heureux d’avoir enfin rejoint son chef. Et celui-ci ne voulait accepter du prince qu’une part dans le prix du loyer.

Il part enfin, ayant retrouvé en Angleterre quelques restes des dépôts laissés par son père. Il va d’abord en Suède, puis en Norvège où il fait un plus long séjour, portant toujours le nom de Corby, et accompagné du comte de Montjoie et du fidèle serviteur Baudoin. Il parcourt aussi la Finlande, recueillant les souvenirs des dernières guerres. Puis, ayant trouvé un guide, il s’en va chez les Lapons, plus loin que n’avaient été Regnard et Maupertuis. Il est jeune, d’une santé vigoureuse, ardemment désireux de s’instruire. « Qu’il profite de sa disgrâce, avait écrit Dumouriez à Montesquiou ; dites-lui que ce vertige passera et qu’il trouvera sa place. Les princes doivent produire des odyssées plutôt que des pastorales[1] ! »

« Tout ce qu’il devait au hasard de la naissance, disait alors Mme de Genlis, il l’avait perdu, et il ne lui restait plus que ce qu’il tenait de la nature et de moi ! »

Il passe à Christiania des mois paisibles et studieux, puis recommence à voyager, et est atteint, dans la petite ville de Holstein, par un message de sa mère. La Duchesse d’Orléans avait passé le temps des fureurs révolutionnaires à Vernon, dans une maison de son père, le Duc de Penthièvre, étroitement surveillée. Des jours meilleurs sont venus, et le directeur Carnot a proposé de lever le séquestre des biens, de mettre enfin en liberté Montpensier et Beaujolais, si le frère aîné consent à s’en aller avec eux en Amérique. Désespérés par la captivité, ces malheureux princes avaient tenté de s’échapper : dans une escalade, Montpensier s’était cassé le bras, et Beaujolais était revenu se livrer aux geôliers, ne voulant pas quitter son frère.

  1. Boutray, Époques mémorables de la vie du roi des Français. Paris, 1845.