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peut-être pas été prudent de l’y suivre avant d’avoir reconnu la position et consolidé notre conquête : les dragons en réserve à la levée de terre furent appelés pour donner la main aux fusiliers. Et pelles-bêches d’aller leur train. Tranchées par-ci, tranchées par-là, en moins d’une demi-heure le village fut organisé sur son front Est et Sud. Mais, seule, la tranchée de la route présentait une sécurité et un confort relatifs : tout le reste du terrain trempait dans l’inondation ; sitôt la croûte entamée, l’eau sourdait, faisait nappe. Impossible de creuser à plus de 25 centimètres, et c’est à plat ventre dans la boue que les hommes postés là durent attendre la contre-attaque ennemie. Saint-Georges à peine entre nos mains, l’artillerie allemande l’avait pris sous son feu ; les tranchées de la route étaient particulièrement visées. Toute la soirée et la nuit, la fusillade claqua. Mais des renforts nous étaient arrivés. L’escadron de Cheffontaine fut relevé à la nuit par l’escadron Lafontaine ; la compagnie Le Page fut relevée à son tour à quatre heures du matin, le 29 décembre. Ses pertes, extrêmement faibles, étaient de 4 tués et 8 blessés.

Telle fut cette affaire de Saint-Georges, dont l’amiral Ronarc’h a pu dire, en transmettant le rapport du commandant de Jonquières : « Beau résultat pour la guerre actuelle. » Notre succès, « succès très calme, très prosaïque, sans panache, sans fanfare[1], » provenait tout à la fois de la prudence et de l’esprit de méthode du haut commandement et des commandemens subalternes et de la très forte coordination qu’ils avaient su établir dès le début entre les divers élémens de l’attaque, marins, chasseurs, dragons, progressant vers leurs objectifs à la même allure, et servis dans chacun de leurs mouvemens par une artillerie merveilleusement souple et précise. Comme rien n’avait été laissé au hasard dans la conduite des opérations, tout y conspira, lentement mais irrésistiblement,

  1. « L’unique clairon de la compagnie, qui était en même temps mon ordonnance, Lallouder (depuis médaillé militaire, avait bien son instrument sur son sac, mais l’instrument percé par les balles ne « sonnait » plus, au grand désespoir de son propriétaire. Peu après la rentrée du bataillon, au cours de la visite du général Joffre, Lallouder ne s’était pas moins aligné avec les autres clairons et faisait semblant de sonner « Aux champs. » Le général, s’étant aperçu de sa supercherie, demanda des explications à Lallouder, qui lui raconta son histoire. Elle fit rire le général, qui autorisa mon brave ordonnance à envoyer chez lui son instrument en guise de souvenir. (Carnet du lieutenant de vaisseau L…)