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-Georges, ne parvenait pas à en déloger les marins allemands. Nous avions aussi nos pertes derrière la barricade. L’artillerie ennemie y réagissait vigoureusement pour se venger de ne pouvoir nous atteindre dans le village même, où nous étions trop près de ses troupes. Et, du cimetière, partait toujours la même fusillade nourrie. Hérissé de mitrailleuses, il barrait la route à toute progression. On pouvait l’enlever sans doute, mais à quel prix ! Et de combien de cadavres faudrait-il combler les quelques mètres qui nous séparaient de l’ennemi ? En exposant la situation au commandant, le capitaine Le Page, après avoir fait ressortir les difficultés de se déployer en force vers le cimetière, demandait s’il ne serait pas possible d’en finir avec la résistance allemande par un tir d’efficacité. Sans doute nos lignes se touchaient. Mais le capitaine Boueil était un virtuose du 75. Le tir de sa batterie, d’une précision remarquable, faisait depuis le début des opérations l’admiration de nos Jean Gouin.

— Ce capitaine-là, avaient-ils coutume de dire, il envoie dedans comme s’il poserait ses shrapnells avec la main.

Le matin même de l’attaque, en observant à la jumelle la tour de l’église ou ce qui en restait, le capitaine Le Page y avait remarqué « quelque chose de noir » qu’il avait pris pour un guetteur caché parmi les pierres. À sa demande, le capitaine Boueil ouvrit le feu sur la tour. Au premier coup, elle oscillait ; au troisième, elle s’écroulait « laissant apercevoir nettement cette fois une poutre noircie sortant des décombres. » C’était là ce que nous avions pris pour un guetteur. Mais, d’une tour visible sur l’horizon à un retranchement caché sous terre et qui s’enchevêtre par surcroît dans nos propres lignes, la différence est grande et les deux sortes de cibles ne supportent aucune comparaison.

— À quelle distance êtes-vous de l’objectif ? fit demander le capitaine Boueil à Le Page.

— Environ 50 mètres.

— Diable ! c’est peu. Enfin, je vais essayer.

Le premier coup était bon en direction, mais un peu long. C’était ce qu’en terme de métier on appelle un coup de réglage. Raccourcissant à mesure sa trajectoire, le capitaine Boueil, au quatrième ou cinquième obus, « mettait en plein dedans. » Et aussitôt le martelage commença, si régulier, si précis, qu’en