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pouvait à peu près rien saisir des défenses ennemies. On les devinait formidables. Saint-Georges est le seul village du shoore. Massées à la croisée de trois routes, ses maisons formaient un bloc imposant autour d’une église trapue et découronnée. Notre artillerie bombardait bien le village, mais au hasard, faute d’indications précises sur les organismes de la défense. On savait seulement que cette défense était assurée par le troisième bataillon du régiment de marins débarqué récemment au Kursaal d’Ostende. Les prévisions de l’Etat-major s’étaient donc réalisées en partie : la lutte s’engageait entre des hommes de même formation et d’égal courage, marins contre marins, et, sur ces plaines inondées, sur ce shoore vaseux où Saint-Georges s’embossait au bout de sa jetée, c’était comme une scène d’abordage qui s’apprêtait. Mais, jusqu’à nouvel ordre, l’avantage de la position, malgré son immobilité, restait au vaisseau, qui nous dominait de toutes parts et n’offrait aucune prise visible à nos grappins.

La situation aurait pu se prolonger assez longtemps, si le hasard n’était venu à notre aide de la façon la plus inattendue. Le 24 décembre au matin, la 3e compagnie venait de relever aux tranchées de la route la 1re compagnie du capitaine Riou. Dans la nuit, une patrouille de cette compagnie avait visité une maison que l’on voyait à droite, presque à l’entrée du village, et l’« avait reconnue, disent les rapports, comme n’étant pas occupée par l’ennemi. » Le commandant de Jonquières fit donner l’ordre à la 3e compagnie d’occuper cette maison dès son arrivée aux tranchées. Mais le capitaine Le Page voulut s’assurer au préalable qu’elle était toujours vide ; car « c’est assez l’habitude des Allemands de dégarnir momentanément certains postes avancés qu’ils réoccupent en force quelques heures après, » et il l’envoya donc reconnaître par deux volontaires.

Il faisait encore nuit, et le temps était brumeux. Les deux hommes arrivent près du village, à la fourche de la grande route et de la levée de terre qui mène à la Ferme de l’Union. Mais là, trompés par l’obscurité, au lieu de tourner par cette levée pour reconnaître la maison, ils continuent à suivre la route, et, sans se laisser arrêter par les obstacles de toutes sortes accumulés sur leur passage : tranchée inachevée avec caisson blindé pour mitrailleuse, trou de loup de 25 mètres de long, sur 2 mètres de profondeur, barricade de sacs à terre et de madriers, ils