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ces Marie-Louise de la mer des marins encore plus jeunes que lui : il n’y en avait pas de plus allant. C’était le type même de la « demoiselle au pompon rouge. » La guerre l’avait à peine bronzé : vétéran de Melle et de Dixmude, il portait dans ses yeux clairs toute l’ingénuité de sa race et aussi son esprit d’aventure, la tranquille audace héritée d’une longue lignée de coureurs d’océans. Et ce fut cet Eliacin qui brisa la résistance allemande. Comment, « malgré un feu nourri » qui balayait la route et arrêtait toute progression, Yvon réussit à « hisser sa mitrailleuse sur les sacs à terre qui le séparaient des Allemands, » comment il détruisit « la plus grande partie de ceux-ci, » mit « les autres en fuite, permettant ainsi à un peloton de chasseurs cyclistes de pénétrer dans une maison, point d’appui de la droite ennemie » et qui n’était autre que la Maison du Passeur, — sa citation le dit, mais elle n’évoque qu’imparfaitement la scène et l’espèce de terreur sacrée où elle plongea la garnison. Il est certain qu’Achille, sur le mur de sa tranchée, ne dut pas être plus terrible que cet éphèbe aux yeux bleus apparaissant soudain aux Allemands et braquant sur eux le canon de sa mitrailleuse. Derrière lui, leurs muscles tendus pour l’attaque, les chasseurs avaient bondi. La charge sonnait. La vague passa, emportant tout. Ce fut « superbe, » dit le lieutenant de vaisseau Le Page qui, dans la même journée, allait donner un pendant à ce beau fait d’armes en enlevant la première tranchée ennemie de Saint-Georges.

C’était, en effet, la 3e compagnie qui, par suite du hasard des relèves, occupait à ce moment les tranchées avancées de la route. À la guerre comme ailleurs, et peut être plus qu’ailleurs, celui qui sème n’est pas toujours celui qui récolte. Il en devait être autrement cette fois et la conquête de Saint-Georges, qui était réservée au capitaine Le Page, allait couronner deux semaines d’efforts méthodiques au cours desquels ce fils d’un vieil instituteur breton, rompu aux fortes disciplines paternelles, avait révélé l’esprit ordonné, le coup d’œil et le sang-froid d’un vrai chef. Rien ne lui échappait. Très ménager de la vie de ses hommes, il s’entourait de renseignemens, multipliait les patrouilles et les reconnaissances. Il était la vérification vivante du mot de Joffre que cette guerre est surtout une guerre de capitaines. Mais, de ce ruban de chaussée allongé entre deux lagunes impraticables, l’œil le plus attentif ne