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mais nous sommes avertis, et avoir pensé au péril, c’est y avoir paré.

Sous Cambrai, il était probable que le commandement allemand n’accepterait pas sans regimber la sévère leçon que venait de lui infliger le général Byng. En effet, tout honteux de s’être laissé surprendre à son tour, cet illustre artisan de surprises s’est roidi et piqué au jeu. On avait annoncé que la ligne Hindenburg avait été crevée en vingt endroits ; pour sauver le prestige de son fétiche, il a voulu montrer qu’elle était « increvable. » Et, comme, — on est obligé de l’avouer, — nous savons vaincre, mais nous ne paraissons pas encore savoir profiter de nos victoires, il est parvenu du moins à empêcher le succès tactique des Anglais de se changer pour lui en désastre stratégique. Après la ruée des tanks et de l’infanterie, le 21 novembre, le front britannique dessinait un saillant en angle, dont la branche Sud allait des environs de Vendhuile à Masnières, et la branche Nord de Masnières à Mœuvres. En hâte et en masse, l’ennemi a ramené des réserves de partout où il en a pu trouver, et de très loin, puisqu’il a poussé au feu des divisions récemment arrivées de Russie. Il les a jetées contre les soldats de sir Juhan Byng, avec un acharnement incroyable, dix fois sur le même point, dans la même journée. Son objectif étant de rabattre les Anglais sur la bissectrice de l’angle tracé par leurs lignes, il a allumé et entretenu cinq foyers de combat principaux, l’un au sommet, à Masnières, et il a contraint le général Byng à évacuer ce village pour se retirer aux Rues-Vertes ; deux autres dans la partie Nord, autour de Bourlon et de Mœuvres ; les deux derniers dans la partie Sud, autour de la Vacquerie et de Gouzeaucourt. Si Ludendorff n’a pas enflé les résultats, il y aurait, au prix de très lourds sacrifices, assez largement réussi.

Quoi qu’il en soit, le plus important pour nous n’est pas dans ce que les Allemands ont pris ou repris, gagné ou regagné. Il est dans le supplément de ressources, dans le nouvel afflux de forces, vivantes et inanimées, dont ces actions coûteuses témoignent qu’ils ont pu disposer. Ne nous y méprenons pas et ne nous leurrons pas ; ce dont ils ont disposé devant Cambrai, ils en disposeront encore ailleurs. C’est le moment de nous méfier, pour toute sorte déraisons. D’abord, parce qu’il leur faut tâcher de conclure, avant que les États-Unis fassent effectivement, positivement leur partie dans la guerre. Ensuite, parce que la défection russe, autant que leur facile victoire du Frioul, les a remontés de ton, et que, déprimés physiologiquement, souffrant dans leurs membres et dans leurs entrailles, leur âme est pourtant restituée et restaurée en toute sa superbe. Ils n’en