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extérieure des choses, ni par un but pratique à atteindre. Aucun travail à réaliser n’astreint sa figure à étendre un muscle plutôt qu’un autre, ou à le contracter. Ses statues ne forgent pas, ne fauchent pas, ne défournent pas le pain, ne triturent pas l’acier, ne creusent pas la mine. La « dignité du travail » est une chose et la beauté plastique de l’homme en est une autre, et s’il peut arriver que l’une s’allie à l’autre, la première n’est pas nécessairement génératrice de la seconde. C’est une fausse notion de l’Art statuaire que de vouloir, d’abord, représenter un acte et ensuite de chercher le geste qui le signifie. La forme ne doit pas être dictée par l’acte, mais l’acte choisi pour la forme à mettre en valeur. Il faut non pas plier le corps à bien signifier une action, mais inventer une action qui signifie bien le corps, c’est-à-dire qui le mieux révèle sa force, sa souplesse et sa beauté.

Il semble que Rodin ait été dominé par cette idée. Quand il voulait faire comprendre le grand trait qui distingue l’Art grec, en sa plus belle époque, de l’art de Michel-Ange et du Moyen Age même, il modelait deux statuettes. Dans l’une, animée d’un mouvement à peine sensible, il montrait un corps se développant comme pour offrir le plus de surface possible à la lumière et, pour cela, imperceptiblement renversé en arrière, en forme de C. Cette statuette, pour mieux s’offrir aux rayons venus de tous les côtés, présentait quatre plans se contrariant alternativement. Et voici comment le maître, d’après M. Paul Gsell, définissait son œuvre : « Le plan des épaules et du thorax fuit vers l’épaule gauche ; le plan du bassin fuit vers le côté droit, le plan des genoux fuit de nouveau vers le genou gauche, car le genou de la jambe droite pliée vient en avant de l’autre et enfin le pied de cette même jambe droite est en arrière du pied gauche. » De là, « quatre directions qui produisent à travers le corps tout entier une ondulation très douce… C’est à peu près, inversé, le mouvement du Diadumène. En même temps, le maître faisait observer, avec raison, le contraste, et le bel équilibre qui, dans ce cas, naissent sans effort, entre le côté où le corps se tasse sur une seule jambe, l’épaule descendant et la hanche remontant, et l’autre côté où le corps se développe et montre sa souplesse, l’épaule remontée et la hanche descendue, le pied pouvant quitter le sol, s’il le faut, sans compromettre la statique. Dans l’autre statuette, inspirée de Michel-Ange, il