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d’arrêts déconcertans. C’est une ancienne favorite du harem de Moulay Hafid. Dans sa bouche brille une dent qu’elle s’est fait aurifier, dit-on, par amour du Sultan, qui, à la même place, portait une dent d’or.

Près de moi, la chanteuse au caftan noir prépare le thé qu’on offre au visiteur. Elle le verse dans mon verre, en levant très haut la théière qu’elle fait descendre vivement et arrête d’un coup brusque ; puis, elle prend le verre dans sa main, le choque à droite, ensuite à gauche, sur ses boucles d’oreille, le fait tinter sur ses dents, et me le présente enfin de ses doigts teints au henné. En ce moment, j’ai tout à fait oublié les cris lugubres des pleureuses de la nuit ; et, près de cette fille charmante, je pense à Boabdil, dernier roi maure d’Espagne, qui, au milieu de son harem et de ses musiciens, apprenant qu’Isabelle la Catholique et le Capitan de Cordoue étaient aux portes de Grenade, répondit sans s’émouvoir : « Quand il y a le verre et les boucles, rien n’est encore perdu. »


VIII. — AINSI PARLA SIDI MOUSSA

Pour avoir de beaux songes, nul n’ignore en Islam qu’il suffit de s’étendre dans l’ombre d’un saint marabout et de s’abandonner au sommeil.

À l’ombre de son mausolée, Sidi Moussa m’est apparu, un chapelet dans une main, et dans l’autre un asphodèle.

« Qui es-tu ! ô étranger, toi qui ne portes ni le turban, ni le burnous, ni les babouches, me dit le pieux personnage. Que viens-tu chercher près de moi ? Qui t’a conduit vers ces rivages ? À ton vêtement et à la mine je crois avoir reconnu que ce n’est pas un vil amour du gain. Si c’est le pur désir de connaître, je ne veux pas que tu te réveilles aussi pauvre que tu es venu, et que tu sortes de mon ombre avec les deux mains vides… Sache donc que dans la bien-aimée Salé, où j’ai mené ma vie terrestre, il y a trois choses merveilleuses. Tu verras la première, si tu montes demain, à midi, tout en haut de la ville, à deux cents pas de la grande mosquée, dans la direction de la mer. La seconde, tu la trouveras dans la demeure d’El Korbi, dont chacun, à Salé, pourra t’indiquer la maison. La troisième, c’est au fondouk des huiles qu’elle te sera révélée… Je te laisse avec le bien. »