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lesquels se sont posés, durant des heures et des heures, les yeux blancs des négresses, tournant autour des petits feux de braise, dans les cuisines invisibles, avec leurs bras arrondis, qu’elles portent gracieusement ployés et les deux mains pendantes, à la manière de deux ailes.

Pour table, un grand plateau de cuivre ; pour chaises, des coussins ; pour se servir, les doigts. Vrai repas d’amoureux. Il faut aimer pour trouver son plaisir à cette cuisine embrasée. C’est une charmante douleur d’aller chercher sur la carcasse le blanc de poulet qui se détache et de l’offrir du bout des doigts à d’autres doigts plus délicats qui ont peur de la brûlure. Plaisir plus agréable encore de recevoir de ces doigts malhabiles un morceau de mouton sur lequel est posé un œuf comme une large pièce d’or…

Louange à Dieu, dit la chanson,
qui a créé les doigts pour prendre les bouchées dans le plat
et les dents pour déchirer la viande du mouton et du poulet,
et la langue pour proclamer la douceur du concombre,
des raisins et des grenades !
Louange à Dieu, parmi les hommes libres,
aussi bien que chez les esclaves !
Louange à Dieu, qui nous a gratifiés
du prince célèbre dans toutes les tribus,
notre maître, le glorieux Kouss-Kouss,
et des crêpes trempées dans l’huile,
et des poules farcies d’amandes,
et du très adorable vermicelle au beurre,
et des beignets au safran et au miel,
et de cette pâte feuilletée
garnie de fruits et d’épices indiennes,
et du ragoût, fils des cendres,
et de sa sœur bien-aimée la sefa
aux coings sucrés dans la viande de mouton !

Pendant que les plats se succèdent sur le plateau de cuivre, un violon, une guitare et un tambourin à sonnettes jouent des airs d’Andalousie. La plainte du violon est la voix de l’amoureuse qui gémit d’être loin de ce qu’elle aime ; les notes graves de la guitare renflée sont l’appel de l’homme qui soupire après