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fantasia devant la lente du Pacha, et couvrent de leur fracas la musique des violens, des luths, des mandolines, des rebecs et des tambourins à sonnettes, qui, là-bas, sous les riches-tentes, célèbrent les femmes et l’amour à la manière d’Andalousie.

Qui ne danse pas devant le Saint sera malade toute l’année. Au-dessus de la foule immobile, je vois des têtes bondissantes, surgir et retomber en cadence comme des têtes de pendus secouées par une corde invisible. Il y a le cercle des Guenaoua, qui sont les gens que j’ai vus, l’autre soir, évoquer les esprits du profond de la terre aux clartés de l’acétylène et de la lune passionnée de tout temps pour ces vertiges. Il y a le cercle des Beni-Hassen, qui font une sorte de ronde, prodigieusement lente, autour d’énormes tambours, tandis qu’un musicien armé des larges et courts ciseaux dont les fabricans de babouches se servent pour découper leur cuir, fait un accompagnement étrange en ouvrant et fermant les deux branches de fer ou bien en les frappant avec un énorme clou. Et la lente, la très lente danse s’en va sautant d’un pied sur l’autre, au rythme des ciseaux et des tambours que, de moment en moment, les musiciens présentent à la flamme d’un brasero pour retendre la peau distendue par l’humidité marine… Il y a les Hamadcha, disciples de Sidi Ali ben Hamdouch, dont le tombeau est à Rabat près du Café du Commerce, et qui se tailladent avec des haches ou jonglent avec des boulets qu’ils se laissent tomber sur la tête. Aux deux bouts d’une longue ellipse, ils forment une ligne d’une cinquantaine de danseurs, qui, tous, se tiennent par la main, plient les genoux tous ensemble, puis se redressent sur les pointes, sans presque quitter la terre, frappent le sol en cadence, lèvent par instant la jambe droite dans ce geste charmant qu’on trouve si souvent inscrit sur le flanc des vases antiques, tandis que, d’un même mouvement, ils projettent en l’air, avec leurs blancs lainages, leurs mains toujours emmêlées. Et au milieu de ce groupe si délicatement harmonieux, des forcenés, la tête déchirée et le burnous en sang, promènent comme un trophée, d’un groupe de danseurs à l’autre, la francisque à double tranchant dont ils se sont meurtris… Il y a le cercle des Aïssaoua, disciples de Sidi Aïssa, dont le tombeau est à Mecknès, et qui répondit un jour à ses élèves mourant de faim au milieu du désert où il les enseignait :