Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyait des corps accroupis commencer à se balancer d’un mouvement presque insensible, et, sur les marches d’un tombeau, dans le fond de l’impasse, des yeux de femme qui s’animaient sous le haïk entr’ouvert.

La lune brillait à son dernier quartier, et l’acétylène sifflante mêlait sa clarté et son bruit à la clarté lunaire et au bruit des instrumens. Un homme se lève, puis un autre ; un autre, puis un autre encore. Ils sont dix au moins, maintenant, qui dansent devant les musiciens, sautent d’un pied sur l’autre en frappant le sol du talon, avec une telle violence qu’on sent la terre battue qui tremble. Que veulent-ils ? Qu’attendent-ils de cette agitation forcenée ? Leurs pieds appellent les Esprits pour les faire sortir du sol, les incorporer à leur être, ou rejeter de leurs corps le démon qui les habite. Celui-ci, armé d’un bâton, trace un cercle sur le sable où il circonscrit sa danse ; celui-là se jette à genoux et son torse se balance comme un ver ou un serpent qui se dresse et se tord. Une femme, à quatre pattes, sa chevelure huileuse et frisée répandue sur le visage, lance mille fois de suite en avant et en arrière sa tête qui balaie la poussière de sa crinière échevelée. Par une suite de bonds prodigieux, un vieillard avance à pieds joints, une besace sur le dos, remplie de dattes et de pain dans lesquels son agitation fait passer la puissance des Esprits, et qu’il distribue au public pour qu’il communie avec lui dans les forces infernales. A l’écart, une bédouine, au visage dévoilé, couvert de ces croutes de fard dont les femmes de la campagne barbouillent leur figure, se lamente avec des pleurs, car le rythme de la musique met, parait-il, en fureur le diable qui la possède. Des jeunes gens, liés par les mains, épaule contre épaule, font une longue chaîne ondulante, en saluant les quatre points cardinaux, pour convoquer à leur fête les démons épars dans la nuit. Et sous les robes agitées, au milieu des jambes nues, une petite fille, de six ou sept ans à peine, trépigne et danse, elle aussi, du même mouvement frénétique où les cymbales, de plus en plus rapides, entraînent à tout moment un nouveau lambeau d’auditoire.

L’orgie sacrée tourne au délire. Les vêtemens sont arrachés, les torses ruisselans se courbent, se relèvent, se cassent avec des gestes saccadés de pantins en folie ; et voilà les premiers qui tombent inanimés sur le sol. On les entraîne dans un coin, et, les saisissant par les jambes, on leur chauffe la plante