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j’achèterai, j’établirai, je ferai, je réparerai, je construirai ; » etc. Depuis dix ans, ce cercueil était l’enjeu de vingt-cinq personnes dans leur partie avec le hasard, et depuis dix ans, le hasard gagnait toujours. Quiconque descendait la Grande-Rue de Sancerre, en allant de la Porte-César à la Porte-Vieille, disait en arrivant à la Place de la Panneterie et montrant la vieille maison aux Boirouge : « Il en a des écus, celui-là ! »

Comme dans toutes les villes de province, et dans tous les pays, chacun avait fait un devis approximatif de la succession Boirouge.

Ses enfans établis, sa femme morte, ses comptes rendus, le bonhomme possédait la maison que lui avait léguée sa femme, trente journée de vignes, une métairie de sept cents livres de rente, et, disait-on, une somme de vingt mille francs en écus, de laquelle il avait frustré ses enfans en la gardant toute pour lui, au lieu de la faire porter à l’actif de la communauté lors de l’inventaire. Comme [le] bonhomme avait, pendant longtems, prêté à dix pour cent en dedans, et qu’il vendait avantageusement ses récoltes au Fort Samson, ses revenus étaient évalués entre dix et douze mille livres qu’il avait dû mettre de côté chaque année, en grossissant toujours le capital par l’adjonction des intérêts.

Le vieillard avait constamment loué, pour deux cents francs, le premier étage de sa maison, et sa manière de vivre permettait de supposer qu’en ajoutant mille francs à cette somme, toutes ses dépenses étaient couvertes.

Or, vingt-deux ans d’économies produisaient un capital d’environ trois cent mille francs dont il n’existait aucune trace à Sancerre. A l’exception de cent arpens de bois que le père Boirouge avait achetés en 1812, et d’une seconde métairie, d’un produit d’environ neuf cents francs, qui jouxtait la sienne et qu’il avait acquise en 1819, personne ne savait où il plaçait ses économies. Sa fortune au soleil était évaluée à deux cent cinquante mille francs, par les uns, à cent mille écus par les autres. Mais, généralement, les capitaux mystérieux et les biens territoriaux représentaient six cent mille francs dans l’esprit de chacun. Depuis deux ans, ce capital, fruit de la longévité, devait donc s’augmenter de dix mille écus par an.

Quelle serait cette fortune, si, comme le prétendaient