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avait épousé en secondes noces Mademoiselle Boirouge-Popinot. Cette ligne avait un personnel de neuf têtes ; mais le juge était le seul héritier vivant direct du père Boirouge. Ainsi, le fils le plus aimé parmi les trois restait le dernier.

A moins de quelque mort nouvelle, en 1821, la succession du père Boirouge se partageait entre neuf pères de famille. Le juge y prenait un tiers ; le second tiers appartenait aux quatre Boirouge de la première branche, et le dernier aux cinq Boirouge de la deuxième branche. Le bonhomme avait empli Sancerre de ses trois lignées, qui se composaient de treize familles et de soixante-treize personnes, sans compter les parens par alliance. Aussi, ne doit-on pas s’étonner de la popularité attachée à la vieille maison située dans la Grande-Rue, que l’on nommait la Maison aux Boirouge. Au-dessus de cette gent formidable, le père Boirouge s’élevait patriarcalement ; uni par sa femme à la grande famille des Bongrand, qui, fleuve humain, avait également envahi le pays sancerrois, et foisonnait à Paris dans le commerce de la rue Saint-Denis.

Toutes ces tribus protestantes n’expliquaient-elles pas les tribus d’Israël ? Elles étaient une sorte d’innervation dans le pays ; elles y touchaient à tout. Si elles avaient eu leur égoïsme de race, comme elles avaient un lien religieux, elles eussent été dangereuses ; mais là, comme ailleurs, la persécution qui resserre les familles, n’existant plus, ce petit monde était divisé par les intérêts, en guerre, en procès pour des riens, et ne s’entendait bien qu’aux élections. Encore le juge, M. Boirouge-Popinot, était-il ministériel ; il espérait être nommé président du tribunal, avancement légitimement gagné par vingt années de service dans la magistrature.

Les membres de cette famille étaient donc plus ou moins haut placés sur l’échelle sociale. Quoique parens, les relations suivaient la loi des chacun à chacun de la trigonométrie ; elles étaient intimes selon les positions.

Enfin, quoique la succession du père Boirouge intéressât treize familles et une centaine de personnes dans Sancerre, le bonhomme y vivait obscurément ; il ne voyait personne ; son fils, le juge, le visitait parfois ; mais, s’il jouissait du plus grand repos, il mettait, le soir, bien des langues en branle, car il était peu de ses héritiers qui, à propos d’une économie ou d’une dépense ne dit : « Quand le père Boirouge aura tortillé l’œil,