Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présenter sa requête. Il trouve Servant couché, malade, la tête dans un bonnet de coton, orné d’un large nœud de ruban jaune, — une fontange, disait-on alors, — et de fort mauvaise humeur. Il éprouve un refus très sec et se retire. Un homme était dans la chambre, le dos tourné, regardant par la fenêtre. Cet homme le suit, et l’aborde avec ces mots : « Ne vous inquiétez pas de cet imbécile, et venez me parler. — Qui donc êtes-vous, vous qui traitez ainsi les ministres ? — Danton. » Et Danton lui donne un rendez-vous.

L’anecdote a été souvent contée. Le prince a pris soin, beaucoup plus tard, après la Restauration, de l’écrire très au long.

Le rendez-vous eut lieu chez le garde des sceaux, déjà installé place Vendôme, au premier étage. Dans la même salle, en 1814, Louis-Philippe rencontrait le chancelier Dambray, qui, dit le prince, faillit tomber à la renverse, quand il entendit le récit de l’aventure et le nom du précédent interlocuteur.

« Demeurer à l’armée de Kellermann, dit Danton, n’est pas possible : le mouvement des lieutenans généraux est décidé. Vous irez avec votre frère, nommé lieutenant-colonel, et qui a bien mérité ce grade à Valmy, à l’armée de Dumouriez. »

Cette armée venait d’être séparée de celle de Kellermann. Le prince s’incline, mais non sans exprimer de vifs regrets. L’armée qu’il va quitter conserve plus de troupes de ligne, observe mieux la discipline. Mais Danton, et le fait est digne de remarque, le pressa de se rendre à l’armée de Dumouriez.

Il se retirait. Danton le rappelle par ces mots : « Vous en avez fini avec moi. Mais moi, je n’ai pas fini avec vous. Vous êtes bien jeune, quoique lieutenant général. — Je vais avoir dix-neuf ans ! — Vous êtes patriote. — C’est vrai, et ce sentiment domine tout dans mon cœur. »

La conversation se poursuit et bientôt le prince déclare que, dévoué à la cause de la liberté, il souffre de la voir déshonorée par la violence et le sang. On est au lendemain des massacres de septembre…

« Ah ! nous y voilà, dit Danton. Je sais que vous ne cachez pas vos sentimens, que vous en régalez vos auditeurs… Prenez garde pour vous et pour eux ! Ne savez-vous pas que ces gens-là étaient les ennemis de nous tous, que nous avons pris part à la Révolution, comme votre père, de votre famille ? Vous avez vu