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à la foule. Les antichambres vides, sans serviteurs, sans solliciteurs, résonnent sous les pas du jeune vainqueur de Jemmapes.

Les tapisseries des Gobelins et de Beauvais, les portraits des plus illustres personnages peints à partir du siècle de Clouet, par Philippe de Champagne, Rigaud, Nattier, Mme Lebrun, David, le grand tableau entre autres qui représente les enfans au pavillon de Bellechasse, avec Paméla et Mme de Genlis, n’ornaient plus les murs. Les vaisselles d’argent, chefs-d’œuvre de Germain, les boîtes ornées de délicieuses miniatures, images des princesses et des enfans de la famille, tous ces trésors de la maison d’Orléans avaient été, malgré la confiance affectée par le maître en le nouveau régime, portés en des lieux plus sûrs.

Egalité est fort appauvri : la fille du Duc de Penthièvre s’est séparée de lui après « un concordat désastreux. »

Le jeune général aperçoit son père, et son cœur s’émeut. Toutes les fautes, et même le crime final, n’ont jamais effacé chez les enfans du Duc d’Orléans le souvenir de sa bonté et de son affection paternelle.

Il est là, dernière épave de l’ancienne monarchie, premier espoir de la Révolution, abandonné des deux côtés, « isolé, » disent des notes de son fils, « par la politique… Je le défends quand je puis… Je gémis de ce que je ne puis défendre… Personne n’avait voulu le porter au trône et Dieu sait que lui-même n’y pensait pas davantage… » « Il n’y a jamais eu de parti d’Orléans… Tous voulaient s’affranchir du soupçon d’être ses partisans. Les scélérats l’ont envoyé à l’échafaud quand il n’était plus qu’un embarras, un moyen d’attaque ! » Telle était la destinée de ce prince applaudi naguère. Il était un embarras, après avoir été un instrument ; et cela, toujours aux mains des mêmes personnes ; il ne savait pas se dégager d’elles.

Dans le palais presque désert, le diner a lieu avec les rares fidèles : le petit Beaujolais, Biron, une femme dont la liaison avec le Duc d’Orléans était avouée et que ses enfans appellent la dame de la rue Bleue ; elle avait de bons sentimens et essayait d’exercer sur le prince déchu une salutaire influence.

Le fils a le soir un entretien suprême avec son père : c’est en ces jours de décembre 1792 qu’il le vit pour la dernière fois. « Pourquoi siégez-vous à la Montagne ? — Tous les autres groupes depuis 1789 m’ont repoussé : j’ai pourtant tout