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territoriales, des tableaux du commerce et des richesses nationales. Ce qu’il a inventé, c’est l’ordre qu’il a mis dans tout cela, c’est l’examen des élémens de la réalité dans leurs rapports de phénomènes et de causes, enfin c’est une méthode. Méthode et science ne font qu’un. Mais s’il n’a point appliqué à la géographie « la méthode scientifique, » il a trouvé, pour la géographie, une méthode. Et même, pour les différens problèmes de la géographie, il a soin de varier les méthodes. Et même, à tant de précautions, il ajoute la précaution par excellence, qui est de ne pas croire que ses déductions le conduisent tout droit et presque mécaniquement à la formule de l’absolu.

Dans la préface de La France de l’Est, ayant dit que ses études sur la géographie de la France l’ont informé de la contrée qui s’étend de la Meuse au Rhin, de l’Ardenne aux chaînes et aux vallées du Jura, s’il écrit que cette contrée « s’est fixée, après de nombreuses oscillations, du côté où la géographie semblait la solliciter, » il indique déjà que les lois géographiques n’imposaient pas une nécessité pareille à celle qu’on attribue aux lois de la nature et que se partagent les sciences les plus volontiers impérieuses. Il insiste : « La géographie suffit-elle à expliquer ce résultat ? » Le résultat, c’est que, tiraillée entre les pays et les influences de l’Europe centrale et de l’Europe occidentale, par la compétition de l’Allemagne et de la France, la contrée d’entre Meuse et Rhin soit allée du côté de la France. La géographie n’établit pas qu’il dût en être ainsi. Plutôt, elle y consentait ; si l’on veut, elle le désirait : elle ne l’a point exigé. D’autres motifs ont eu à intervenir. Les gens d’Alsace et de Lorraine ont senti des affinités entre eux et nous ; ils nous ont préférés à leurs voisins de l’Est pour maintes raisons de toute sorte et qui ne dérivent ni de la configuration des montagnes, ni du régime des eaux, ni de telles conditions géographiques : la contrée d’entre Meuse et Rhin se révèle comme « une personnalité régionale qui, avec pleine conscience d’elle-même, a librement apporté son adhésion » à cette grande patrie, la France. L’idée de choix et de liberté corrige ce qu’ont d’aventureux, en général, les théories scientifiques appliquées à l’histoire humaine. Ni les hommes ni l’humanité ne sont de la dynamique ou de la dialectique.

Ni les hommes, ni l’humanité ne sont hasard, non plus, et caprice. Alors, il n’y aurait presque pas à les étudier ; du moins, il n’y aurait pas à chercher leurs raisons. La réalité vivante, entre la mécanique et le hasard, obéit à des causes très nombreuses, complexes, qui parfois se contrarient, s’annihilent ou se diminuent les unes les