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dans les derniers mois de 1914, nous perdrions la rive gauche du Rhin. » Et M. Pierre Boutroux a cité cette phrase d’un journal luthérien imprimé en Westphalie, le Sonntagsblatt für die evangelische Gemeinde Unna, du 25 juillet 1915 : « La France, dont la population diminue plutôt qu’elle ne s’accroît, s’arrangerait fort bien des pays et des habitans de la rive gauche du Rhin. »

Ainsi s’achève cette histoire. De 1815 à 1914, la monarchie prussienne ne change ni ses méthodes ni ses buts ; mais, à partir de 1880 et au sortir du Kulturkampf, elle procure aux provinces rhénanes une prospérité matérielle inconnue dans les années précédentes, et elle rencontre seulement alors des dévouemens qui s’étaient refusés jusque-là. Il n’est pas niable que sa colonisation patiente n’ait produit des résultats. La conquête, à prendre les choses en gros, semblait terminée, sauf quelques désaccords qui, dans la satisfaction des appétits et l’orgueil de la puissance, passaient au second plan. Il ne s’ensuivait pas d’ailleurs que les anciennes dissensions, pour un moment apaisées, eussent définitivement disparu : elles avaient en effet des causes bien trop profondes et que nous avons énumérées. Elles s’étaient effacées surtout sous l’influence d’un bien-être accru, mais aussi parce que l’opposition eût été stérile et qu’elle n’eût rencontré nulle part l’appui dont elle avait besoin. L’Allemagne napoléonienne, dans ses régions les plus occidentales, ne pouvait résister à la Prusse qu’en fondant ses espoirs sur la France. Or, du jour où il fut évident que la France faisait défaut, elle n’avait plus qu’à se résigner, en profitant le plus possible de la situation qui s’offrait à elle. La rive gauche du Rhin n’y manqua pas. Du moins peut-on dire que, si la Révolution et l’Empire ont porté fort loin leurs armes, si Rome, Amsterdam, Raguse même ont été pendant plusieurs années des villes françaises, en aucun lieu notre domination n’a été plus appréciée, en aucun lieu notre souvenir n’a plus duré que sur ce coin de la terre gallo-romaine où Custine, en 1792, avait planté notre drapeau.


JULIEN ROVÈRE.