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les absurdes calomnies répandues sur notre compte par la presse et par l’école ne trouvassent partout la crédulité que l’on espérait. Malgré les anathèmes officiellement lancés contre « l’aventurier corse » et « l’ennemi héréditaire, » il était encore des gens qui ne maudissaient pas notre domination ; il en était aussi qui avaient connu des survivans de l’époque napoléonienne ; il était encore des vieillards dont les parens étaient nés Français. Car l’Empire bismarckien, du fait de sa fondation, n’avait pas tué tous les vestiges du passé. Pendant de longues années, ceux-ci se montrèrent encore, comme un rappel inopportun ou comme un témoignage opiniâtre de ce qui avait été. A Aix-la-Chapelle, en 1873, les portraits de Napoléon et de Joséphine, donnés par l’Empereur en 1804, ornaient encore la grande salle des séances du conseil municipal. M. Holzhausen raconte que, tout enfant, il a assisté, dans la petite ville de Rheine, en Westphalie, à l’un des premiers anniversaires de Sedan. Tout à coup, devant les associations de vétérans alignées pour la parade, une apparition fit revivre les jours d’autrefois. On vit s’avancer une petite vieille qui portait au côté un tonnelet de cantinière. « Les honneurs lui furent rendus, lisons-nous, mais un sentiment étrange s’empara de moi quand on me dit qu’en 1812 elle avait accompagné en Russie le grand Corse dont les bruyères du pays de Munster murmuraient tant de légendes. »

C’est toujours à M. Holzhausen qu’il faut avoir recours pour suivre le bonapartisme rhénan dans ses manifestations les plus récentes : les détails qu’il nous apporte nous conduisent jusqu’à la veille de la présente guerre. Il a encore connu ces anciens élèves des lycées de Mayence, de Bonn et d’Aix-la-Chapelle qui défendirent jusqu’à leur dernier jour la gloire de leur idole, gloire dont nous-mêmes ne voulions plus. Vers 1885, un peu plus tard même, on pouvait en apercevoir encore quelques-uns. C’étaient eux qui, à Enskirchen, avant et après 1870, quand ils assistaient au banquet donné pour l’anniversaire du roi de Prusse, attendaient le départ des autorités pour lever leurs verres aux cris de « Vive l’empereur ! » En 1902, comme M. Holzhausen venait de terminer au Gürzenich de Cologne une conférence sur la mort de Napoléon, il vit paraître un vieillard de quatre-vingt-un ans, l’ancien éditeur E. H. Mayer, qui lut à l’assistance un poème dont il était l’auteur, composé en 1840 pour célébrer le retour des cendres :