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prussienne avait remplacé la nôtre à la suite de nos défaites. C’est ainsi que se forme une « nationalité. »

On la formait contre nous. Une presse à gages s’acharnait à nos dépens en des diatribes toujours renouvelées. En face de la France dégénérée, on dressait la vertueuse Allemagne, maîtresse des sciences et des arts, mère des grands peintres, des grands architectes, des grands musiciens, des grands philosophes, de tous les surhommes enfin qui éblouissaient le monde.

Cette campagne de calomnies, commencée dans le pays rhénan dès 1815, durait encore. Pareillement, l’immigration n’avait jamais cessé. Fonctionnaires originaires de l’Est, sous-officiers, ouvriers même continuaient à affluer. On en trouve la preuve dans les statistiques de la population, si l’on considère les chiffres donnés pour les deux religions catholique et protestante. Il y a dans la province de Prusse rhénane 3 804 341 habitans en 1875, 4 287 392 en 1888, 7 121 140 en 1910 ; à ces trois dates, et sur le nombre total, les protestans figurent pour 906 483, pour 1 171 398 et pour 2 097 619 : les catholiques, au contraire, passent de 2 628 170 à 3 115 994 et à 4 916 022. L’augmentation de la population catholique est donc de 15,6 et de 36,4 pour 100, celle de la population protestante de 22,6 et de 44, pour 100 d’un recensement à l’autre. L’accroissement beaucoup plus considérable des protestans ne peut être attribué qu’à une seule cause, à l’immigration.

Cependant, malgré notre renoncement, malgré la disparition de nos formes administratives, en dépit de l’œuvre accomplie par l’école et par la presse, jamais la rive gauche ne se fût faite à son sort, même après l’extinction de la génération napoléonienne, si elle n’eût profité du bien-être et de la prospérité qu’apportait l’Empire. Le vignoble était en décroissance, mais on importait des raisins étrangers, et l’on vendait des imitations de Champagne dont le placement, à l’intérieur et même hors de l’Allemagne, était facile. Les villes devenaient formidables : Cologne dépassait 500 000 habitans ; Düsseldorf, Essen, Elberfeld, Aix-la-Chapelle, Crefeld, Coblence, Mayence et Sarrebrück prenaient chaque jour une extension plus grande. De 1880 à 1903, le gouvernement avait dépensé 100 millions pour le canal de Dortmund à l’Ems et 250 pour la navigation du Rhin. Sur ce fleuve, le trafic s’était élevé de 6 millions de tonnes en 1880 à 30 millions en 1900. Un chemin de fer