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manifestent leur aversion pour l’édifice construit par Bismarck. La Reichszeitung de Bonn renchérit encore et menace. « Sur les ruines de l’État moderne, l’Église construira un nouvel ordre de choses, comme elle l’a fait lors de la dissolution de l’Empire romain. »

Lorsque le chancelier a réuni l’Allemagne sous le sceptre des Hohenzollern, il a voulu faire disparaître toutes les oppositions locales. Mais voici que Ketteler prend la plume pour sauver l’existence de ce que Bismarck veut détruire. En 1873, dans un manifeste où-, par une précaution d’habile avocat, il concède que le particularisme doit admettre une puissance impériale forte et pleine de vie, il se fait le défenseur de ce particularisme. Il le nomme « un lien de fidélité et d’amour, » un signe d’attachement au pays natal, à la vieille tribu germanique dont on fait partie, un témoignage d’affection pour les anciennes coutumes et tout ce qui est spécial à la province où l’on a vu le jour ; chaque région doit avoir le droit de gouverner comme elle le veut ses propres affaires et de se refuser à une centralisation qui est la mort de l’âme : autant de propositions qui sentent la révolte et dont on ne peut croire qu’elles n’aient été pesées soigneusement par leur auteur.

Voilà donc quel est le premier point du programme antiprussien. Il s’agit, on s’en est rendu compte, de ruiner l’œuvre de 1871 et de rendre à l’Allemagne sa liberté d’autrefois. Comme les maîtres du moment sont luthériens, la guerre se développe sur le terrain confessionnel, mais elle est bien une guerre politique : « Si l’État, écrit Conrad von Bolanden, traite en ennemie ou tente d’opprimer l’Église catholique, la conséquence naturelle en sera que les catholiques allemands s’uniront à un protecteur étranger contre l’empereur protestant d’Allemagne. » Or, ce protecteur étranger, J. J. Lindau le désigne publiquement dans une réunion tenue à Mayence en 1872 : il s’appelle la France. Les prélats assemblés le 20 septembre à Fulda, sous la présidence de l’archevêque de Cologne, le laissent également entendre : « La lutte contre Rome, déclarent-ils dans leur protestation solennelle, est une explosion du criminel orgueil produit par les victoires remportées sur la France. » En d’autres termes, la grande puissance catholique vaincue à Sedan laissait par sa défaite le champ libre à l’oppression prussienne. Bismarck ne commettait donc aucune erreur quand il prétendait que