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Il semble qu’il ne s’agisse que d’une querelle religieuse, tout au plus des tentatives faites par la Prusse et l’empire pour établir leurs droits de police et imposer leurs règles administratives. À ce compte, d’autres nations auraient connu de pareils différends. Or, le débat a un objet bien plus haut : il est d’essence nationale. « Il me faut dix ans pour faire l’Allemagne, » avait dit Bismarck en 1871. Le Kulturkampf constitue le moyen même par lequel il espérait obtenir ce résultat. Il est dirigé avant tout contre l’influence française, qu’il a pour but d’anéantir.

Une lecture des Mémoires de Hohenlohe, même rapide, suffit à convaincre que leur auteur, pendant son ambassade à Paris, a pour mission de surveiller de très près les hommes politiques français et d’empêcher qu’une entente ne s’établisse entre la République et les adversaires allemands du nouvel Empire : il fait alterner les cajoleries avec les menaces voilées, et il est à l’affût de tous les retentissemens que peuvent éveiller chez nous les persécutions de Bismarck contre les catholiques. S’il est d’autre part un homme bien renseigné sur les tendances et les buts du Kulturkampf, c’est assurément Sybel, député au Landtag de Berlin et professeur à Bonn. Il faut voir en lui l’un des plus anciens agens de la Prusse sur la rive gauche, l’un de ces savans d’Etat qui, installés dans leur chaire comme à un poste de combat, montèrent la garde au Rhin en missionnaires de la Kultur. Il est le fondateur du Deutscher Verein, un instrument de germanisation destiné à faire disparaître tout ce qui subsiste encore de welche à l’intérieur de l’Empire, une entreprise d’espionnage dont les ramifications couvrent tout le pays rhénan. En 1874, il écrit contre le catholicisme un factum intitulé la Politique cléricale au XIXe siècle. Ce qu’il reproche aux prêtres, c’est qu’ils sont les ennemis de la Prusse et les amis de la France : « C’était sans doute agir politiquement, avant la défaite de l’armée française, que de ne pas se laisser émouvoir par l’hostilité cléricale ; mais, après l’écrasement de la France, c’est un devoir d’État pressant que de réduire à l’impuissance l’adversaire de notre cause nationale. Jamais lutte défensive n’a été plus légitime. »

D’ailleurs Bismarck lui-même nous a dévoilé le secret de sa politique. Le 30 janvier 1872, il répond à Windthorst.