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Était-ce là-dedans qu’on voulait me faire coucher ? Mais la jeune fille arriva aussitôt et me dit : Monsieur, nous comptions sut les Français pour délivrer Mayence ; dans cet espoir, papa avait fait confectionner, en cachette, des drapeaux pour pavoiser notre maison le jour de votre entrée ! Le père tira de sa poche la clef de l’armoire, qu’il ouvrit à deux battans : elle était bondée de drapeaux tricolores… »

Nous avons tenu à reproduire tous ces documens dans leur sécheresse et leur nudité, tels qu’ils nous sont rapportés par nos témoins. Ceux-ci sont unanimes dans leurs dépositions. En quoique lieu qu’ils aient été, à Crefeld, Aix-la-Chapelle, Cologne, Coblence, Sarrelouis, Trêves, Landau et Mayence, du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest, partout sur la rive gauche du Rhin ils ont constaté les mêmes attentions et la même douleur de notre défaite. Ces drapeaux en particulier, signalés en trois points différens du territoire, et destinés à fêter notre prise de possession, permettent de conclure à un mouvement populaire extrêmement profond et peut-être concerté, qui avait pour but de rendre à notre domination le pays tout entier. Signe émouvant sans doute de la reconnaissance d’un peuple qui avait participé pendant vingt années à notre vie nationale, qui avait partagé avec nous l’enivrement de la période révolutionnaire et la gloire de l’épopée impériale. Mais aussi preuve très évidente de l’inhumaine dureté et de l’injustice de la Prusse, puisqu’en un demi-siècle de travail acharné et de colonisation patiente, elle n’avait réussi ni à gagner les cœurs, ni même à donner une âme allemande à ceux dont elle était maîtresse.

Il n’est pas niable d’ailleurs que les succès de nos adversaires n’aient agi sur l’opinion. A Trêves, au mois d’octobre 1870, des bourgeois de la ville, parmi lesquels il semble bien qu’il y ait eu des indigènes, écrivirent à Bismarck pour lui demander l’annexion de Metz : ils faisaient valoir que la proximité de la frontière faisait planer sur la contrée le risque d’une invasion, puis aussi que les Messins, par leurs mœurs et leur caractère, étaient proches parens des Trévirois. Quoiqu’il soit d’expérience courante que tous les amis ne demeurent pas fidèles dans le malheur, il faut cependant observer que Trêves, chef-lieu de cercle, était par cela même exposée aux progrès de la propagande prussienne, du moins dans certains milieux, et que la présence d’une forte garnison y était la source de gains