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pas une nouveauté que ce genre d’attaque, les Boches ayant pris l’habitude d’inonder presque toutes les nuits à cette sauce-là les creux de ravins, à l’heure des relèves et des ravitaillemens ; ils changeaient les vallées en ruisseaux de poisons. Ce qui était nouveau, c’était de nous lancer des gaz sur une hauteur, comme sur un toit, au lieu de les recueillir comme dans un bassin. Alors je m’expliquai la cheminée, et pourquoi, l’ayant faite, ils s’étaient dispensés d’insister davantage ; c’est par cet orifice qu’ils se promettaient d’introduire leur saloperie de gaz : comme dans Hamlet, la jusquiame dans le tuyau de l’oreille… Ils voulaient nous faire crever comme des rats dans leur trou. Et pour comble de guigne, pas un souffle d’air cette nuit-là ! La belle nuit, au contraire, radieuse, étoilée, tranquille, sans une haleine, même sur cette crête perpétuellement éventée ! On entendait siffler les vilaines bêtes sournoises, ces marmites particulières qui n’éclatent pas, mais brisent sans bruit, comme un verre se fêle, leurs urnes vénéneuses ; et c’était l’asphyxie qui coulait comme une gomme, s’épaississait en nappe rampante dans notre caveau. Mais on ne dormait que d’un œil ; l’alarme fut donnée à temps, et en avant les masques, les ventilateurs, les draps mouillés, les vaporisateurs, les tubes d’oxygène, tous les appareils de défense contre cette gueuse de chimie ! Au total, encore une nuit blanche ; beaucoup de malades, mais pas de casse. Rude journée, tout de même. Mais il parait que nous leur avons resservi quelque chose de plus coquet encore, le 24 octobre, à Douaumont. Car tel cuide engeigner autrui… Mais nous avons le temps de faire de la morale.

« La journée suivante fut un peu plus calme, du moins pour nous. Nous autres, nous n’existions plus, ils nous avaient réglés la veille ; aujourd’hui, c’était la suite de l’opération, mais cette fois sur les batteries : même tarif de démolition, à forfait : tant d’obus par pièce ; et, le soir, asphyxie, pour le cas où quelque servant aurait eu le mauvais goût de ne pas être tout à fait mort. Oh ! ce sont des gens méthodiques. Ils avaient réellement bien monté leur petite affaire.

« Ils continuaient toutefois à nous bombarder copieusement, par acquit de conscience, mais la grosse pièce d’hier n’était plus du programme : elle avait entrepris Souville, et nous fichait la paix. Enfin, pas de nouvel accident, mais la conviction croissante qu’il allait se passer quelque chose et qu’après une telle