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suffi pour transformer le tableau, en chasser les illusions et les chimères nébuleuses. Ce n’était plus le germanique Brocken ou le Walpurgis de tout à l’heure, avec sa poésie de ballade vaporeuse : l’invasion des brumes, le trouble sortilège du Nord venaient une fois de plus d’être mis en déroute sur ce champ de leurs séculaires conflits. On se trouvait sur des ruines, mais du moins sur des ruines solides. Les formes reprenaient leurs dimensions exactes, et même, qui l’eût cru ? les couleurs de la vie. Surprise touchante ! Au pied de la redoute, la colline était blonde de fleurs : Ces terres blessées, broyées à mort, brûlées par le soufre et le feu jusqu’aux racines et jusqu’aux germes, ces déserts qui semblaient naguère à tout jamais stériles, renaissaient ; la nature, sur tant de morts, jetait une profusion de fleurs : tout un printemps sauvage se hâtant de surgir avec une sorte de violence, une folie d’herbes naïves, incultes, tumultueuses, semées on ne sait comment sur ce cadavre de colline, recouvrant ses cicatrices, formant à perte de vue une seule nappe jaune, si bien que sur cet ossuaire et cette destruction infinie la grande Créatrice, ou pieuse ou indifférente, répandait le miracle de ce champ d’immortelles…


II

Ma mission terminée dans l’intérieur du fort, je sortis de nouveau sur la superstructure ; je ne pouvais me lasser de cette métamorphose, du spectacle de ce défi, de ce triomphe de la nature. L’éclaircie n’avait pas duré ; la pluie, qui menaçait depuis notre départ, s’était mise à tomber ; une nuée délicate posée sur la prairie paraissait la couver, la protéger avec amour.

On pouvait s’attarder en toute sécurité. Mon compagnon ne cessait de parcourir le fort, dont chaque coin évoquait pour lui un souvenir : il examinait chaque détail, s’intéressait aux nouveautés, approuvait les perfectionnemens, heureux s’ils se rencontraient avec ses propres idées ; il m’expliquait alors avec un amour-propre d’auteur le rôle d’un flanquement, d’une disposition inédite : « Ah ! si nous avions eu cela ! » ajoutait-il. Ce voyage avait pour lui le sens d’un anniversaire. C’est à pareille époque et presque à pareil jour qu’il avait, il y a un an, subi cet assaut dont l’inconnu m’intriguait. Il y a un an,