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des fils, qui représentent au front les Bois sont des religieux devenus soldats. Martin, avant d’avoir ses dix-neuf enfans, fut six mois novice à Sept-Fonds ; la vocation s’est transmise plus complète à un de ses fils prêtre, tombé sur le champ de bataille, et se continue en un petit-fils de dix-huit ans, étudiant ecclésiastique. Chez les Fèvre, sur dix-neuf enfans, il y a deux prêtres et trois religieuses. Trouvera-t-on que c’est beaucoup ? Le droit de penser ainsi appartient à ceux qui auront comme les Fèvre quatorze enfans pour perpétuer la race et servir le pays.

Fixons les traits généraux de ces familles par un mot sur les trois qui sont les plus fécondes de France.

Les époux Perrotey, cultivateurs à Plainfaing (Vosges), poussent à la perfection le mérite d’être des traditionnels. Tous deux, aussi loin que le regard puisse voir dans l’obscurité de leurs ancêtres, sont de lignée paysanne. Constant Perrotey appartient à une famille de sept, sa femme à une famille de neuf enfans. Le mari et la femme sont nés dans le même village, et, bien que le sol y soit rocheux et maigre, ils ont eu pour seule ambition de lui rester fidèles comme les « anciens. » Leurs vingt et un enfans sont à leur ressemblance : mariés jeunes, les plus âgés demeurent près de la maison paternelle, dans des fermes à la terre avare et au foyer fécond, et l’aînée des filles a déjà donné neuf enfans à son mari. À ce père et à ses vingt enfans toute aide de l’Etat avait été refusée, mais, s’ils ne sont pas de ceux qui reçoivent, ils sont de ceux qui donnent. Des sept qui sont partis au début de la guerre deux sont morts, deux ont été grièvement blessés. Ainsi s’étend sur les servitudes matérielles de cette existence la libératrice beauté d’une vie morale.

Camille Joffray, colon près de Medeah, aurait voulu fonder sa famille sur la stabilité de la terre ; il avait obtenu une concession ; mais faute de ressources, il dut y renoncer et, à mesure que se multipliaient ses enfans, il multiplia ses métiers. Il devint aussi par surcroit cantonnier fossoyeur, afin que la mort même nourrit la vie. Mais ce dévouement à la vie engendrait lui-même la mort : la détresse était telle que l’anémié plusieurs fois a éteint dans les enfans l’existence et enfin dans la mère la force d’accoucher. La faim, plus destructrice que l’amour paternel n’est créateur, voilà la tragique vision. Qui empêcha le couple de renoncer vingt fois à sa