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Depuis quelques années, plusieurs associations[1]ont surgi, se proposant de grouper, de secourir les familles, nombreuses, et ont aidé du moins a. les connaître. Là s’allongent les listes douloureuses par la misère qu’elles révèlent et consolantes par la vigueur qu’elles attestent. Parmi ces paysans et ces ouvriers, conservateurs de la famille, citons seulement ceux qu’on en peut appeler les héros. D’après la statistique de 1914, quarante-cinq familles comptent dix-huit enfans. J’ai pu avoir des détails sur vingt d’entre elles : neuf de dix-huit enfans, trois de dix-neuf, cinq de vingt, deux de vingt et un, une de vingt-trois. Voici sous mes yeux les extraits de naissance, avec les commentaires des curés, des maires, des conseillers généraux et des voisins, témoignage des humbles qui louent des humbles. Ce livre d’or des obscurs répète à toutes ses pages les mêmes mots de probité exemplaire, de labeur acharné et, je transcris, de « sobriété jusqu’à la pénitence. » De tels foyers ne sont pas allumés dans les grandes villes, mais presque toujours dans des demeures rurales et par des paysans pauvres. Mais la pauvreté a son aristocratie qui répugne au vagabondage, et sur le sol, si dur soit-il, où elle est, demeure, ni déracinée ni divisée. De ces familles tenaces, les unes sont de petits fermiers, les autres de plus petits propriétaires, comme les Gosselin qui, dans la Manche, avec un hectare et une maison pour tout bien, ont eu dix-huit enfans. Quelques-uns, à s’assurer ainsi des travailleurs, transforment en aisance la gêne quand, semblables à Gosselin, ils savent ne laisser rien perdre, ni les choses ni le temps, et, dans l’Orne, s’abstenir d’alcool. La plupart ne réussissent qu’à durer et non sans dettes, mais consenties pour acquérir de la terre et être chez soi. D’autres, tels Le Gall, manœuvre de Lannion, Briot, contremaître de tissage dans l’Eure, Boulin, terrassier au Pas-de-Calais, n’ont pas même à eux cette place où prendre racine. Encore la solde de contremaître a sa fixité : mais comment des terrassiers, des manœuvres et des femmes de ménage ont-ils osé entreprendre la charge, sont-ils parvenus à subvenir à la dépense de vingt enfans ? Parce que c’est pour eux le devoir. Ils le disent, et leur vie le dit mieux encore. Trois

  1. L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française, — La ligue des familles nombreuses, — La ligue pour la vie, — La plus grande famille, à Paris, et plusieurs sociétés en province, notamment L’Aide aux familles nombreuses de la Loire.