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Le paysan est maintenu dans sa fidélité à la famille, par une existence proche de la nature et conforme à la nature. La culture qui utilise tous les sexes et tous les âges aux multiples tâches de l’œuvre collective, rend les enfans précieux au père et tient toute la famille assemblée sous l’œil de son chef. La femme devenue mère aide à la prospérité commune par le gouvernement de son domaine propre, la basse-cour, le jardin potager et les petites industries qui entourent la maison ; et le centre de son activité est cette maison que la ménagère tient prête pour les siens, où tous se retrouvent non seulement à la nuit et pour le sommeil, mais plusieurs fois par jour, pour les repas, pour les veillées, pour les causeries où chacun renouvelle sa joie diffuse et profonde d’être adopté, protégé, complété par un tout plus grand que lui. Cette demeure est assez vaste pour que nul n’y soit à l’étroit, et la saine atmosphère des champs renouvelle les forces qui rendent fécond le travail. Et l’atmosphère n’est pas moins salutaire à l’âme, car elle vit plongée dans l’œuvre du Créateur aux dons simples et aux faveurs égales, elle voit peu l’œuvre des hommes qui, dans les villes, accumulent avec l’orgueil du luxe les souffrances de l’inégalité et de l’envie. Le paysan est aujourd’hui dans la nation à peu près le seul qui n’aspire pas à changer de place et d’état. C’est où il est né qu’il préfère vivre, c’est le métier appris des siens qu’il désire continuer ; c’est dans la terre qu’ont pris racine ses espoirs ; c’est elle, fertilisée et consacrée par ses ancêtres et par lui-même, qu’il a l’ambition de transmettre à ses fils.

Or, la force de la vocation comme la faveur de la nature sont contredites en France par le pouvoir qui a charge d’entretenir la vie nationale. Par la Révolution la terre a été sacrifiée à un mot, l’égalité. Chaque fois qu’un paysan meurt et que son bien a plusieurs héritiers, tous doivent avoir leur part non seulement égale, mais identique. Peu importe s’ils n’obtiennent pas de leur travail sur un fragment de propriété morcelée le produit que l’activité de la famille unie tirait du domaine total, et si les instrumens agricoles qui étaient proportionnés à son étendue ne donnent plus, après partage, à chacun de ces propriétaires, qu’un des services nécessaires à la culture. Un domaine comme un corps a une vie, et le rompre n’est pas plus en partager la valeur que celle d’une statue, si on la mettait en