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Agir autrement eût été nier ma foi, et jamais ma foi n’a été déçue par les résultats. » Comme je lui faisais observer qu’une telle affirmation serait une opportune surprise à opposer au scepticisme de notre temps, il voulut bien me donner sur son existence une note, avec licence de m’en servir et, pour ne pas transformer un témoignage en panégyrique, il me pria seulement de taire son nom.

Voici son idée maîtresse : « J’avais vu que la question d’argent tient la plus grande place dans la vie de la majorité des hommes et qu’elle voile les réalités spirituelles. Et j’ai non pas méprisé l’argent, mais essayé de le classer dans la catégorie des choses secondaires, comme cela se doit. J’ai choisi la médecine, afin d’aimer Dieu et mon prochain d’une façon particulièrement directe et concrète. » Etudiant, il reste chaste pour la compagne à laquelle il pense et qu’il épouse à peine docteur : « Je me suis marié avec la femme que j’avais choisie sans apporter d’attention à autre chose qu’à sa vertu, sa santé, la dignité de sa personne et l’intention que j’avais de trouver en elle la mère honorée de mes enfans. » Les époux possèdent au total 6 000 francs ; il faut renoncer aux lenteurs onéreuses comme aux chances brillantes des concours et exercer de suite en province. La clientèle vient moins vite que les enfans ; néanmoins, quand naît le troisième, un millier de francs forme une réserve d’économies. Mais pour une des familles que soigne le docteur, une aide immédiate d’argent est une question de vie ou de mort ; il porte les mille francs et revient plus pauvre que le pauvre dont il a eu pitié. « J’ai donné tout ce que je possédais afin d’aimer les enfans des autres autant que les miens et pour montrer à Dieu que j’avais plus de confiance en sa miséricorde qu’en ma sagesse. » Trop défiée, cette sagesse humaine se venge : il va être saisi pour une petite somme. Un client dont il a guéri le fils s’acquitte à point d’honoraires oubliés et accroît par une propagande efficace les malades du docteur. Mais ils ne laissent pas au père le temps de songer à sa cliente principale, l’âme de ses enfans. Le loisir et la sécurité lui sont offerts ensemble par un grand industriel qui le nomme médecin de ses établissemens ouvriers. Après quelques années, la sécurité redevient la gêne pour la famille plus nombreuse, le docteur se hasarde à Paris, et avec succès, quand la guerre le rejette aux précarités. Comme il a toujours