Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chrétienne. S’il ne s’est pas lassé d’accroître, en donnant la vie, ses embarras de vivre, c’est parce que la difficulté du devoir ne supprime pas le devoir.

Cette fidélité qui met un rayon de splendeur morale sur les détresses matérielles des ménages militaires n’éclate pas moins dans la modestie volontaire où est fière de se restreindre, pour ne pas restreindre la famille, une élite de maîtres français. La croyance de M. Rambaud et de M. Paul Bureau est également attestée par leur titre de professeurs à l’Institut catholique et par le nombre de leurs enfants : M. Paul Bureau en a dix et M. Rambaud douze. Dans ce monde du savoir une famille, on pourrait dire une dynastie, celle des Jordan, est saluée avec un respect universel. M. Camille Jordan, de l’Académie des Sciences, a eu huit enfans, six fils et deux filles. Les deux filles sont religieuses ; des six fils, un professeur à la Sorbonne, un autre ingénieur des mines, un autre diplomate, un autre inspecteur des finances, deux sortis officiers de l’Ecole polytechnique et de Saint-Cyr se partageaient les plus honorables des carrières où l’on puisse servir un pays. Quand la guerre fit appel à un plus complet dévouement, trois des six donnèrent leur vie. Le professeur à la Sorbonne, Édouard Jordan, a eu dix enfans dont un aussi est mort pour la France ; l’ingénieur des mines en a sept, l’inspecteur des finances en a laissé quatre. Telle est l’arithmétique usuelle des familles auxquelles les Jordan se sont alliés : la sœur de Mme Camille Jordan a été onze fois mère ; l’aînée de ses filles treize fois. Et M. Édouard Jordan a rappelé en quelques pages d’une sincérité bienfaisante[1], que, partout où la religion disparaît, la famille se restreint, mais que la famille ne reste pas intacte partout où la religion semble se maintenir ; que celle-ci survit parfois comme une malade oisive et muette : elle perd alors son autorité sur les peuples qui gardent d’elle une habitude, et ne l’abandonnent pas encore, mais déjà ne lui obéissent plus.

S’il y a une profession où l’athéisme semble à beaucoup enseigné par leur science même, c’est celle des médecins. L’un d’eux constatait la conséquence lorsqu’il poussait récemment à l’Académie de médecine un cri d’alarme, rappelait la nécessité d’avoir au moins trois enfans par famille pour

  1. Contre la dépopulation, avec une lettre-préface du cardinal Amette. Paris, Bloud et Cie, 1917.