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Or le Pape, meilleur juge que les plaisans, honorait de ses accueils empressés et tendres un des efforts les plus complets, les plus hardis, les plus prévoyans qu’ait inspirés dans la société contemporaine le culte de la famille. Léon Harmel avait eu huit enfans, un de ses fils et l’un de ses gendres aussi huit[1]. Et parce qu’il tenait la famille pour un bienfait, il le voulait assurer non seulement aux siens, mais aux ouvriers dont il se sentait responsable. Il n’ignorait pas que pour l’homme réduit à vivre de son travail, et dont le travail entretient tout juste la vie, l’enfant est une aggravation de misère. Pour concilier l’intérêt social qui a besoin de « tribus familiales » et l’intérêt individuel qui déconseille de devenir père quand on ne peut nourrir des enfans, Harmel jugeait efficace une seule mesure : proportionner le gain de l’ouvrier non aux dépenses d’un célibataire, mais aux charges d’un ménage. Réaliser cette réforme était à la fois accroître les difficultés de la concurrence avec les rivaux qui se gardaient de cette surcharge et s’aliéner le préjugé égalitaire des ouvriers qu’il désirait servir. Ce ne fut pas trop du désintéressement que lui enseignaient ses croyances et de la solitude où il tenait ses travailleurs à l’abri des sophismes pour rendre viable la tentative dans le petit monde où il gouvernait. Et pour cette tentative l’homme mérite d’être honoré comme un précurseur, puisque le premier il donna l’exemple d’un retour vers la sagesse d’une pratique oubliée.

Pour multiplier les preuves que, dans la bourgeoisie, les affaires et les familles s’accroissent ensemble, il suffit de parcourir les principaux centres de l’industrie française.

Marseille et Lyon furent nos plus anciennes capitales du commerce, elles portent encore après Paris les plus superbes de nos couronnes murales et, plus que Paris ouvert aux déracinés de tout notre sol, gardent une originalité de région et de race. Marseille est le triomphe éblouissant et sonore du Midi :

  1. A celui-ci il écrivait : « Quant à l’avenir de la famille, il ne peut être assuré que par le grand nombre des enfans. L’homme restera toujours la première richesse économique en même temps que morale. Celui qui a l’intelligence, l’aptitude ou la chance, aide les autres à sortir de l’ornière. Cette aide entre frères et sœurs explique la prospérité matérielle de nombreuses familles en Angleterre et dans le Nord de la France, tant il est vrai de dire que l’intérêt est toujours d’accord avec le devoir et que Dieu ne laisse jamais sans récompense l’accomplissement de sa loi. Nous l’avons éprouvé nous-mêmes au point de vue industriel. C’est grâce à notre tribu familiale que nos affaires ont prospéré.