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au précepte de croître et de multiplier. Malgré l’inégalité des sacrifices imposés par lui au grand seigneur, au riche bourgeois, au paysan dont tout l’avoir était une pauvre lande, à l’ouvrier propriétaire seulement de ses outils, la prodigalité des naissances, la poussée de la race étaient partout égales[1]. Aujourd’hui, l’on se flatte d’avoir supprimé les classes et fondu leur hiérarchie en une seule masse ; elles se distinguent, et de plus en plus, par leur très inégal souci de se perpétuer. Constatons les différences de la fécondité familiale dans les multiples sociétés qui forment la société française.

A tout seigneur, tout honneur : préséance est due à notre noblesse. Elite de notre passé et tenue parfois pour morte comme lui, elle prouve qu’elle vit toujours, en enfantant de l’avenir. Son culte même du passé la préserve des déshérences ; elle estime qu’il n’y a jamais trop de successeurs à la gloire d’un nom. Trois ou quatre enfans sont l’habitude et comme le droit commun pour ces familles, et le nombre s’élève fort au-dessus dans la plupart de celles qui partagent entre leurs rejetons l’honneur d’une ascendance illustre[2]. Malgré les révolutions qui bouleversèrent ses privilèges, elle est restée la première dans la défense de la patrie par la multiplication de la race. C’est pour avoir donné le sang des naissances généreuses qu’elle peut donner le sang des trépas héroïques. Elle a son vivant symbole dans ce Castelnau, marquis de naissance, guerrier par vocation, chef de famille par devoir, qui défend son pays en grand général, et, père de onze enfans, a sacrifié à la France trois fils, soldats comme lui.

Ne rien calculer chichement est une élégance de la noblesse française. Elle tient le compte de ses enfans, comme on lui reproche parfois de tenir ses autres comptes : elle ne les arrête pas. Cette générosité lui est d’ailleurs facile, parce que son opulence a encore de beaux restes échappés aux confiscations.

  1. « En parcourant les censiers et autres registres du XIVe siècle, on est frappé de la multitude des personnes qui y sont nommées dans chaque paroisse. On y remarque que chaque famille renferme beaucoup d’enfans. » Léopold Delisle, Étude sur la condition de la classe agricole en Normandie au moyen âge, p. 174.
  2. On trouve, par exemple, des Harcourt avec dix enfans, des Broglie avec huit enfans, des Vogué avec sept, des Auerstaëdt, des Murat, des Charette avec dix ; des Dampierre, des Dreux-Brézé, des Luynes avec six ; des Maillé, des Rougé, des Polignac, des Gontaut avec sept ; des Lur-Saluces et des Segonzac avec huit ; des Vibraye et des La Rochette avec douze ; des Courson avec quatorze.