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les jeunes officiers qu’il rencontrait. Le matin du dernier jour, la comtesse l’accompagna dans sa visite au cercueil. Leur attitude n’éveilla point les soupçons. Mais ceux qui gardaient la porte remarquèrent qu’en s’en allant, le maréchal était singulièrement ému et que sa femme se cachait le visage sous son mouchoir. Il était rentré chez lui où il avait invité à déjeuner sa sœur, une vieille femme de soixante-treize ans. Il se montra à ce déjeuner d’une gaîté qui la surprit. Et ce qui la surprit davantage, ce fut l’attention qu’il apporta à la toilette de sa femme. Il lui donna même de la main deux ou trois petits coups sur le nœud de sa ceinture. Elle se retourna et lui sourit. Ils avaient prié un photographe de venir. Mais la lumière était mauvaise, et l’artiste, sans les avertir, enflamma un ruban de magnésium. L’explosion de lumière ne les fit broncher ni l’un ni l’autre. Vers quatre heures du soir, ils congédièrent leurs deux domestiques et montèrent dans leur chambre, une chambre nue comme toutes les chambres japonaises. À huit heures, le canon retentit. L’aide de camp et l’ordonnance du maréchal, inquiets du silence extraordinaire de la maison, frappèrent à la porte, puis l’enfoncèrent. Nogi en grand uniforme s’était ouvert le ventre et, n’ayant point de second pour lui trancher la tête, s’était percé la gorge. Sa femme, probablement après lui, s’était poignardée à deux reprises, sans que pourtant ses blessures fussent mortelles. Elle avait alors retiré le poignard de sa poitrine et, avec son doigt humide de sang, elle avait enfin trouvé la place du cœur. Mais il ne lui restait plus assez de force pour enfoncer le fer, et elle s’était laissée tomber sur la pointe. On croit communément que son mari ignorait sa résolution et qu’en tout cas il ne l’y poussa point.

L’enterrement eut lieu au bout de dix-huit jours. Jamais, depuis que le Japon était sorti des eaux, le convoi funèbre d’un simple sujet de l’Empereur n’avait attiré un pareil concours de peuple. Le cercueil du maréchal, posé sur un caisson, était traîné par des soldats ; le cercueil de la comtesse le suivait dans une voiture attelée de chevaux. Une foule immense passa la nuit autour des deux fosses ; et, encore aujourd’hui, dans le cimetière d’Aoyama, de la porte jusqu’à l’endroit où ils reposent, les marchands d’encens forment une chaîne ininterrompue.

Les grandes âmes sont rarement simples et peut-être moins qu’ailleurs au Japon, où la passion de la gloire revêt les formes