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que lui. Dans toutes ses fonctions, il fut la fonction même.

Il avait hérité l’intransigeance de son père, et, à deux reprises, il fut inscrit sur la liste des officiers en retraite. Mais chaque fois les événemens le rappelèrent au service actif, et une volonté, qui ne pouvait être que la volonté impériale, l’y fit rentrer avec un grade supérieur. Les soldats l’admiraient et le redoutaient. Sa bonté naturelle n’intervenait pas plus en ce qui concernait la discipline que la douceur de la température n’influe sur la rigidité d’une barre de fer. Il était rude jusque dans ses saillies d’humour. On raconte que, du temps qu’il était gouverneur de Formose, comme les soldats, anémiés par le climat, se plaignaient de la nourriture et réclamaient de la viande, lui qui en était toujours resté aux menus traditionnels du vieux Japon, il répondit à celui qui lui transmettait leurs doléances : « Ils veulent donc manger du bœuf ? — Oui, Votre Excellence. — Mais dites-moi, que mange le bœuf ? — De l’herbe, Votre Excellence. — Eh bien, qu’on leur donne de l’herbe ! » Ses ennemis l’accusaient d’étroitesse d’esprit, et il avait contre lui les fournisseurs du gouvernement qu’il détestait autant que les bonzes et les femmes.

Au moment de la guerre russo-japonaise, il était général de division, et, à la tête de la troisième armée, il reçut l’ordre de prendre Port-Arthur. Cette place forte, dont le nom, — après celui de Verdun, — restera un des plus grands dans l’histoire des hécatombes, ne s’est pas relevée de ses ruines ni du silence qui suivit la capitulation. Ceux qui la visitent s’étonnent d’y voir adossées à de vastes demeures vides des maisonnettes japonaises qui semblent s’en constituer les gardiennes. Chacune de leurs planches a coûté des centaines de cadavres. Nogi ne serait jamais revenu au Japon si Port-Arthur n’avait succombé. D’ailleurs, dans la défaite, aucun général japonais n’aurait osé reparaître devant ses compatriotes. Le vieil esprit est encore si vivant qu’on ne pardonnerait pas à un vaincu de se dérober au suicide. Des officiers japonais, blessés sur le champ de bataille et prisonniers, ont préféré s’en aller dans la presqu’île malaise, où ils travaillent aux plantations de caoutchouc, plutôt que de retourner chez eux et d’y affronter le mépris de leurs camarades. Les régimens que Nogi précipitait à l’assaut des forts étaient fauchés jusqu’au dernier homme. Un témoin dit : « Nous ne voyions plus la terre. » Quand son fils aîné