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Nogi oubliait toutes ses craintes, et, pendant que son père s’acquittait au nom du prince des hommages funéraires, il ne se lassait point de contempler, dans le modeste enclos, quarante-sept tombes rangées autour d’un grand sépulcre, et pieusement entretenues comme des autels. C’était là que reposaient les quarante-sept Ronins, ces hommes d’armes dont l’aventure reste aux yeux des Japonais un des monumens parfaits de leur ancien héroïsme. Le jour même où ils avaient vengé leur seigneur en tuant son meurtrier, ils furent condamnés à s’ouvrir le ventre, et on les répartit dans un certain nombre de demeures princières, afin qu’ils y accomplissent « l’honorable cérémonie. » Plusieurs d’entre eux avaient été envoyés chez le prince Mori, où l’on gardait religieusement leur mémoire. Tous les enfans des Samuraï étaient familiarisés de bonne heure avec l’idée du suicide. Mais on peut dire que, sur ce point, le petit Nogi fut privilégié. Il grandit dans le culte presque intime des suicides les plus excitans de la Légende dorée du Japon.

Deux ou trois ans plus tard, le père et l’enfant, qui portait à sa ceinture les deux petits sabres inégaux des jeunes Samuraï, s’éloignaient de Tokyo. Ils n’étaient pas seuls, cette fois : ils escortaient à pied un palanquin où Mme Nogi avait pris place avec ses fillettes. Le père, dont le caractère inflexible et la franchise déplaisaient au prince, avait été frappé de la peine du Heimon, c’est-à-dire de la Porte close. Le Samuraï devait regagner son pays et s’enfermer pendant cinq mois dans sa maison. On clouait sur la porte deux bambous entre-croisés. Il lui était interdit de rire, de chanter ou même de parler à haute voix ; et cette défense s’étendait à toutes les personnes de sa famille. La ville où les Nogi se rendaient, Chofu, était au bout du Japon, près de Shimonoseki. Ils contournèrent le mont Fuji, suivirent jusqu’à Kyoto la grande route où montaient et descendaient les cortèges de daïmio, et s’embarquèrent à Osaka. Le père expliquait à son fils ce qu’ils voyaient et tout ce qu’avaient vu ces endroits célèbres. Quand ils débarquèrent, parens et enfans changèrent de vêtemens sur la grève avant d’entrer dans une petite auberge. M. Nogi, qui revenait à Chofu pour la première fois depuis dix ans et qui n’y possédait plus rien, finit par louer une bicoque, où toute sa famille se tassa comme dans une arche bien close et pour une longue traversée de silence.

Et voici maintenant le petit Nogi à l’école et dans une école