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dans le champ de l’objectif. C’est ce qu’a fait Degas et peut-être est-ce bien l’objectif, en effet, qui lui en a donné l’idée. Car ce dessinateur tout personnel ne méprisait pas plus les conquêtes de la science que ne les eût méprisées un Léonard de Vinci ou tout autre grand Renaissant. Il était même passionné de photographie. Il en faisait en plein air, à l’intérieur ; il en recherchait avidement les effets de nuit, à la lumière. Il est même curieux de noter que le grand principe de la photographie : le contrejour, est devenu l’une des habitudes chères à Degas. Je ne veux pas dire qu’il se soit jamais servi de l’appareil pour dessiner, — l’ingénuité de son trait est trop évidente, — mais ce que la photographie a révélé de mal connu dans le geste et le mouvement n’a pas été perdu pour lui. Une autre caractéristique de sa mise en cadre est que, par un parti pris évident, il place presque toujours son point de fuite très haut, en dehors du tableau. On dirait ainsi qu’il voit les choses et les gens du haut d’une échelle, les lignes du parquet montant éperdument vers le haut du cadre ; il est l’homme qui peint les planchers, ou pour mieux dire, les « planches. » C’est très naturel, lorsque c’est de danseuses qu’il s’agit et qu’on peut supposer le spectateur dans une loge plongeant, du regard, sur la scène. Ce l’est moins, lorsqu’il s’agit de scènes d’intérieur ou même de répétitions de ballet dans les salles de leçons, mais c’est un moyen de développer des groupes nombreux sans les enchevêtrer, et surtout de montrer les « pas » de la danseuse dans ses nuances et ses minuties. Pour la même raison que le portraitiste se place plus bas que son modèle, parce que c’est la tête qu’il étudie, Degas se place plus haut parce qu’il étudie les pieds.

Et alors, rien ne se perd des mouvemens nouveaux qu’il s’est donné la mission de nous révéler. Il peut paraître étrange qu’à notre époque, après que tant de milliers d’yeux pendant tant de siècles ont épié les gestes de l’homme et que tant de mains se sont appliquées à les reproduire en image, il y en ait encore d’inédits. Cela est pourtant. Les exercices d’assouplissement en vue de la danse, l’étude minutieuse des « pas, » les paraboles des bras, tout ce qu’on pourrait appeler la gymnastique de la grâce, enfin ces merveilles d’acrobatie esthétique où triomphe l’« étoile, » voilà des mouvemens qui n’avaient pas trouvé leur interprète. Sans doute, la danse elle-même avait été