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Ses funérailles furent admirables. Si j’en crois ceux qui virent les funérailles de l’Empereur, les Japonais apportèrent à celles de l’Impératrice un recueillement plus profond, une piété plus intime. De combien de morts illustres peut-on dire qu’ils auraient souhaité la pompe et les hommages sous lesquels nous les enterrons ? Il n’y avait pas dans cette longue cérémonie un seul détail dont elle n’eût ressenti la beauté.

Dès trois heures de l’après-midi, on ne pénétrait que muni de carte sur la voie funèbre, qui partait du Palais et traversait toute une partie de la ville jusqu’à la station du chemin de fer où le train attendait la dépouille impériale pour l’emporter dans la ville sainte de Kyoto. Il faut se représenter de larges routes descendantes et montantes, bordées d’un fouillis de bicoques en bois ou côtoyant des terrains déserts, d’immenses quartiers sans caractère dans une ville sans couleur et sous un ciel brouillé. Sur toutes les chaussées on achevait d’étendre une couche de terre meuble et sombre où les pas s’amortissaient. Des deux côtés on ne voyait qu’une foule compacte assise sur ses talons ou sur des boites de bois qu’on vendait environ cinq sous. Les boutiques ouvertes avec leurs rangées de spectateurs, les uns agenouillés, les autres debout, ressemblaient à des loges de théâtre pleines. Les auvens servaient quelquefois de balcons ; et les balcons disparaissaient sous les grappes humaines. Pas un cri ne sortait de cette multitude évaluée à six ou sept cent mille personnes. Le service d’ordre était assuré par des sergens de ville et des délégués en redingote noire qui n’avaient presque rien à faire. J’étais à l’entrée d’une venelle qui donnait sur un terrain de manœuvres, une vaste plaine inculte. À deux pas de la foule, le silence était tel que j’aurais pu me croire dans un village. Derrière leurs palissades de bambou et leurs petits jardins, les maisonnettes semblaient vides ou endormies. Le champ de manœuvres était sillonné de kuruma qui menaient des personnages officiels aux tribunes réservées ; et l’on apercevait de loin les jambes noires des coureurs tricotant sous leur veste blanche. Le paysage, les rues, les maisons, les décorations, ces poteaux et ces grosses lanternes blanches, tout, sauf la foule prodigieusement silencieuse, aurait déçu par sa médiocrité l’étranger débarqué de la veille. Mais qu’il prenne patience, l’étranger !

Il est maintenant six heures du soir. Les soldats de la garde impériale apparaissent, et, pendant que les uns font la haie