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debout. L’Européen s’irritait souvent d’une imitation maladroite qui était pourtant un hommage rendu à sa supériorité, mais qui lui gâtait le pittoresque qu’il était venu chercher et l’harmonie d’une civilisation si différente de la sienne. Et son agacement le rendait volontiers pessimiste. Les anciens résidens, qui regrettaient la vie moins chère et les affaires plus avantageuses du Japon d’autrefois, annonçaient des révolutions à brève échéance. Quand on parle de ce qui arrivera demain, dit un proverbe japonais, les rats du plafond rient. Les représentans de l’Europe ont souvent fait bien rire les rats des maisons japonaises. Pour moi, je n’avais échappé au pessimisme que par ma confiance dans la vitalité de ce peuple et dans la valeur morale de son armée. Mais j’étais assez convaincu qu’il ne parviendrait pas à concilier avec ses traditions les importations étrangères et que tout ce qu’il avait de singulier et de charmant succomberait tôt ou tard sous l’envahissement des formes de la vie occidentale. Et très sincèrement je le déplorais, sans me dissimuler qu’en reniant ainsi, et à contre-cœur, une grande partie de son héritage, le Japon ne faisait que prévenir la nécessité pour lui mieux obéir, pour lui obéir en maître. Il se déjaponisait par amour de lui-même. Mais enfin, il se déjaponisait. Et maintenant qu’après quinze années retentissantes, après Port-Arthur et Moukden et la mort de son vieil Empereur et ses agitations parlementaires, j’allais le revoir, je me demandais si je n’aurais pas quelque peine à le reconnaître. Je craignais de ne plus y retrouver ce qui naguère m’avait séduit, inquiété ou même gêné ; car, si amoureux que nous soyons du changement, nous n’aimons point qu’on nous change les représentations que nous nous sommes faites des choses ; et lorsque nous retournons aux endroits dont nous avons installé l’image en nous, et que nous constatons qu’elle ne s’accorde plus avec la réalité, nous regrettons jusqu’aux traits qui nous en avaient déplu.

C’était ce que je pensais par ce matin pluvieux où le paquebot japonais, qui m’amenait d’Amérique, entrait au port de Yokohama. Pendant qu’à travers la pluie drue je cherchais à distinguer la ville, j’aperçus à quelques pas de moi un de nos compagnons de voyage, un officier de marine japonais qui venait de séjourner deux ans en Allemagne. Il avait quitté ses vêtemens civils et revêtu son grand uniforme, la poitrine barrée d’une