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prix d’un nombre donné de calories alimentaires est actuellement, en France, si elles sont fournies par du pain, de 2 à 3 fois moins élevé que si elles proviennent de légumes, de pommes de terre par exemple, et de 5 à 10 fois moins élevé que si on les demande à la viande. En ne se nourrissant que de viande (pour schématiser ma démonstration, je fais là une hypothèse qui est d’ailleurs irréalisable pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans ma prochaine chronique) on dépenserait donc de 5 à 10 fois plus qu’en ne se nourrissant que de pain.

Ces chiffres montrent donc, d’une part, que le pain est notre aliment primordial, d’autre part, qu’il est bon qu’il en soit ainsi.

En temps de paix, et dans les années qui ont précédé 1914, pour satisfaire à son énorme consommation de pain, la France avait besoin d’environ 92 millions de quintaux de blé, dont elle produisait elle-même à peu près 86 millions. La très faible différence de 6 millions de quintaux nous était fournie par l’importation. La France était, avec la Russie, la seule des grandes nations européennes qui pût, au point de vue du blé, se suffire à peu près à elle-même.

Cette situation a malheureusement cessé. En 1915 la France n’a produit que 60 millions de quintaux de blé, en 1916, 58 millions, et d’après des renseignemens récens, la production de 1917 atteint à peine 40 millions de quintaux, soit moins de la moitié de la quantité nécessaire d’après les données de naguère.

Il n’entre point dans mon sujet d’examiner les causes de ce grave déficit, sur certaines desquelles j’ai déjà attiré l’attention ici même, prêchant un peu dans le désert, il y a deux ans : diminution de la surface cultivable (à cause de l’invasion des riches départemens du Nord) et cultivée, à cause du manque de main-d’œuvre et de prévoyance dans son remplacement par la motoculture ; diminution du rendement à l’hectare provenant notamment du manque d’engrais, et passé de 18 quintaux à l’hectare en temps normal, à 11 en 1916, alors que ce rendement moyen était pourtant déjà en temps de paix très inférieur à sa valeur en Allemagne et surtout en Danemark. À cette cause de déficit, il en faut ajouter d’autres qu’on eût pu éviter encore plus facilement, si on avait mieux prévu, c’est-à-dire mieux gouverné : principalement le prix du blé qu’on a maintenu obligatoirement très bas, alors que le prix de toutes choses augmentait, si bien que, d’une part, les paysans ont trouvé leur avantage à remplacer la culture du blé par d’autres plus rémunératrices, et que, d’autre part, le peu de blé qu’il leur restait a été souvent employé par eux à la nourriture du bétail, parce qu’ils pouvaient vendre plus cher les autres céréales et produits