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celles qui ont imprimé, dans notre œil, le prototype de cette peinture, et il est impossible de les trouver réunies chez aucun de leurs devanciers, en France, du moins. C’est donc bien le trait qui les distingue des autres et les fait se ressembler entre eux.

D’où vient donc la confusion habituelle ? De ceci que le mot « impressionniste » a eu et a conservé, à travers toutes les discussions, deux sens très différens : un sens large qui est le premier en date et que lui a conservé le public, et un sens étroit que lui donnèrent plus tard les artistes et qui, seul, sert à le reconnaître. Avant 1870, le mot » impressionniste, » sorte de quolibet, désignait, en bloc, tous les indépendans, les révoltés, les refusés de 1863 qu’on connaissait fort bien, puisqu’on leur avait ouvert un Salon spécial, et ce terme venait d’une de ces toiles inintelligibles comme sujet, que l’auteur avait fini par intituler Impression. D’une façon générale, et en réaction contre les thèmes classiques et la facture « léchée » de l’Institut, ces jeunes peintres choisissaient leurs sujets dans la vie moderne, souvent triviale, parfois un peu canaille ; ils n’appuyaient pas le contour et affichaient une facture large, heurtée, « truellée, » parfois au couteau à palette, toujours avec de grosses brosses, sans nul souci du détail, et quand on leur demandait lequel des anciens maîtres trouvait grâce devant eux, ils répondaient : Franz Hals. Après 1870, c’est-à-dire après le séjour de Monet, Sisley et Pissarro à Londres, c’est une tout autre couleur qui prévaut : « impressionnisme » veut dire lumière, vibration intense, interéchange de reflets entre les différens objets, éclat de couleurs juxtaposées presque crues, dans une facture de tapissier mêlant ses laines. C’est pour les uns une cacophonie, pour les autres un éblouissement, et quand on demande aux nouveaux venus s’ils ont un dieu parmi les anciens, ils répondent : Turner. Mais la foule, qui avait été très frappée par la facture large, heurtée, « bâclée, » du moins le croyait-elle, et par la trivialité des sujets des Indépendans de 1863, conserva le nom d’impressionnisme à tout ce qui offrait ces caractères, quelle que fût leur technique chromatique, parce que les caractères que je viens de dire étaient ceux qu’elle percevait le mieux. Tandis que les artistes, un peu plus précis dans leur discours, s’habituaient à considérer comme tels, surtout, les « luministes » et les « divisionnistes, » ceux qui avaient réellement « éclairci la palette. »