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depuis le jour où la proposition de restauration présentée à la Chambre des pairs par Victor Hugo, appuyée par Montalembert et soutenue par Vitet, promu inspecteur général des monumens historiques, jusqu’au 31 mai 1864 où Mgr Darboy célébra la dédicace de la cathédrale restaurée. Le premier crédit de deux millions six cent cinquante mille francs avait été abondamment dépassé.

La science accrue des architectes devenait de jour en jour plus exigeante et plus intransigeante. Mérimée avait d’abord défini le but de toute restauration par cette formule : conservation de ce qui existe, reproduction de ce qui a manifestement existé (et la seconde partie de la proposition contenait en germe les pires abus) ; mais jour à jour, comme nos grands chantiers de restauration devenaient de véritables écoles où se formaient, dans le commerce familier de l’art du moyen âge, des tailleurs de pierre, des appareilleurs, des ornemanistes, une doctrine se constituait qui, nourrie de l’enseignement des maîtres de l’œuvre, tendait bientôt non plus seulement à restaurer nos monumens tels que les siècles nous les avaient transmis, mais, condamnant tout ce que les époques classiques avaient pu y transformer ou ajouter, prétendait les refaire tels qu’ils auraient dû être, selon un certain type idéal de l’architecture du XIIIe siècle érigé dans l’esprit des théoriciens. De là des inventions arbitraires, et, à la place de la vérité historique telle que la vie l’avait faite, des hypothèses contestables, des compositions artificielles et figées, imposées de toutes pièces aux générations futures dont elles ne peuvent que troubler les idées et égarer la critique. Certaines chapelles latérales de Notre Dame de Paris offriraient plus d’un exemple de cet art abstrait et froid, de cet « académisme gothique, » si l’on osait s’exprimer ainsi.

On remplirait une bibliothèque des polémiques qui s’émurent à propos de chacune des « grandes restaurations » de nos cathédrales. Autour de celles d’Angoulême, Bordeaux, Périgueux, Sens, Evreux se livrèrent de véritables batailles et la plus violente se déchaîna quand on entreprit, après le vote d’une loi de l’Assemblée nationale (26 décembre 1875) qui l’avait ordonnée et largement — trop largement ! — dotée, celle de la cathédrale de Reims. (Il est juste de rappeler que nous étions alors sous le régime absurde, aujourd’hui aboli, qui classait les cathédrales parmi les « édifices diocésains » et les soustrayait